Vins du peuple, nectars des rois ? Les grands crus de l’hexagone ont tapissé la bouche des papes, des prélats, des empereurs et des têtes couronnées. La Reine Elisabeth ne lampe que des crus sélectionnés par son chambellan. Nombre de prestigieux vignobles ont appartenu à la crème de la société, à ces nobles par le sang, à ces roturiers anoblis par les princes en place – les Rothschild en sont l’exemple frappant. Les barons ont de tous temps été Médocains. La Romanée Conti fut la propriété du prince de Conti. En 1801 Talleyrand, prince de Bénévent, acquit le château Haut-Brion où il ne vint jamais, et le grand cru des graves appartient aujourd’hui à la duchesse de Mouchy, princesse du Luxembourg.

     Les Polignac règnent encore sur la maison Pommery, propriété de Moët et Chandon, par l’intermédiaire du prince Alain, remarquable œnologue, responsable des cuvées. « Le vin est une matière assez riche pour passionner l’esprit » écrit le professeur Peynaud, la lumière de Gironde. Le sang de la vigne, qui coule en Médoc, à St-Emilion, en Champagne, en Alsace, en Touraine, dans la vallée du Rhône, ne cesse de fasciner les puissants par la naissance ou la fortune. Il n’est que de voir le surgissement des nouveaux investisseurs qui prennent des positions dans les grands terroirs, à commencer dans les grands crus classés de Gironde. Imaginait-on pareil attrait en 1930 ? On dira que le temps des grandes familles de sang bleu n’est plus de mise, que le pouvoir dans les vignobles de renom a changé de mains et que le règne des compétents et des ingénieurs a bouleversé le jeu des castes. La naissance, l’excellence de l’origine ne sont plus des atouts décisifs. Le président de Moët et Chandon, l’homme de terrain s’appelle Yves Bénard, et ses deux partenaires au sommet de l’édifice champenois sont deux vrais aristocrates de la bulle, Fred Chandon de Briailles et Alain de Vogué. Tous trois forment le trio de commandement. Cela s’appelle la fusion des énergies. Et des talents. Quelle que soit la couleur du sang.