La passion des comtes d’Yquem
Le 23 Frimaire de l’an II (1794), tous les « titres, papiers féodaux ou seigneuriaux » de la maison d’Iquem sont livrés à la municipalité de Sauternes, avec cette mention : « qui, conformément à la loi ont été brûlés publiquement sur la place de lad. commune ». En mars de la même année, la propriété d’Iquem est au bord de la confiscation, ses droits de propriété sont soupçonnés d’être de nature féodale. C’est à la ténacité de la jeune comtesse Françoise-Joséphine de Lur Saluces que Iquem doit, sans doute, son sauvetage. Elle réussit à produire, du fond de la prison où on l’avait enfermée, les droits de propriété de sa famille. Cet épisode de l’histoire du château d’Yquem résume parfaitement l’engagement d’une famille, les Lur Saluces, dans la défense des intérêts de l’illustre domaine à travers les siècles. Un combat mené sans relâche par chaque maître successif d’Yquem et poursuivi aujourd’hui par Alexandre de Lur Saluces, champion de l’image publique d’Yquem.
L’histoire de la famille de Lur Saluces consiste en une succession, de génération en génération, de nobles guerriers, dont beaucoup sont tombés au champ d’honneur au service des rois de France. C’est le comte Louis-Amédée de Lur Saluces qui, en épousant Françoise-Joséphine de SAUVAGE d’Yquem, reçoit le domaine d’Yquem dans sa corbeille de mariage, en 1785. Longtemps avant, Yquem appartenait aux rois d’Angleterre, alors ducs d’Aquitaine, avant de passer à la couronne de France, en 1453. La famille SAUVAGE en devient tenancière par droit d’échange, le 8 décembre 1593, puis l’acquiert à titre de fief en 1711. A partir de 1894, Bertrand de Lur Saluces traverse à la barre d’Yquem les 2 guerres et la crise économique des années 30, avec un élan qui l’a rendu célèbre. Le « Marquis » fut l’un des monstres sacrés du théâtre viticole bordelais du XXème siècle et l’un des premiers partisans de la « mise en bouteilles au château » obligatoire des premiers crus bordelais.
En 1968 Alexandre de Lur Saluces, fils du comte Amédée, devient responsable d’Yquem. Sensible au rôle joué par ses prédécesseurs, il cherche à promouvoir, à travers Yquem et Fargues, l’esprit qui les a guidés et le perfectionnisme qui les a conduits à être les premiers responsables de la découverte et de la mise en œuvre de ce procédé fou qu’est la vendange par tries successives. La famille Lur Saluces, plus grand propriétaire de la région de Sauternes au siècle dernier, a laissé sa marque dans de nombreux domaines ; elle est considérée comme « l’inventeur » du Sauternes. Le grand père d’Alexandre fonda le syndicat viticole de Sauternes. Son oncle défendit l’Appellation devant les tribunaux pour limiter l’usage de son nom aux terroirs qui en étaient les plus dignes et réduire les abus manifestes. Il lui a fallu, pour cela, conduire 27 procès au nom de son syndicat. Cette volonté de rechercher la qualité, à tout prix et par tous les moyens, conduisit Alexandre à sacrifier par 2 fois la totalité de la récolte, en 1972 et en 1974 !
Cet humaniste aux manières bienveillantes est un excellent éducateur et un ambassadeur pour ce vin. Il se double d’un parfait gestionnaire qui a relevé le défi de la crise du Sauternes des 20 dernières années et qui a su placer Yquem au nombre des puissances économiques qui comptent !
Alexandre de Lur Saluces connaît les « Yquemophiles » du monde entier. Nombre d’entre eux sont américains, émules de Thomas Jefferson alors futur président des Etats-Unis qui, « tombé amoureux de l’Yquem », persuada le général Washington d’en goûter, en 1790 ! Les Tsars de Russie furent des clients enthousiastes de ce vin et certains chefs d’état allèrent jusqu’à se procurer quelques pieds de vigne d’Yquem pour tenter d’en tirer dans leur pays un nectar aussi miraculeux. L’Yquem constitue pour les empereurs du Japon un cadeau traditionnel depuis son introduction pendant l’ère Meiji.
Dans les livres d’or du château : Joséphine Baker, Maurice Chevalier, Alfonse XIII roi d’Espagne, le prince Arald et la princesse Sonia, futurs souverains de la Norvège, Michel Serres, sensible philosophe des senteurs de l’Yquem, de Gaulle qui choisit le millésime 1947 pour recevoir la reine Elizabeth à l’Elysée. Il manque celle de Frédéric Dard, préfacier merveilleux du livre des éditions Flammarion, « Yquem », écrit par Richard Olney. Par contre, le réalisateur de Out of Africa, Sydney Pollak y a laissé sa griffe à côté de la ronde signature de Frédérick Hébrard et de celles de Pivot et de Jean des Cars.
Les Lur Saluces n’ont jamais compté les sacrifices pour que l’Yquem vive et se maintienne au sommet. Pour que le vin d’aujourd’hui soit digne du vin d’hier. Pour que le terroir produise des chefs-d’œuvre, comme en 1921. Pour que le vin ne déroge pas et que sa noblesse infinie se perpétue malgré les aléas de la vendange, à travers les décades futures du siècle prochain. La noblesse des Lur Saluces suscite le respect. Elle a valeur d’exemple aujourd’hui où, plus que jamais, les grands vins doivent être en harmonie avec l’extraordinaire message de civilisation dont ils sont porteurs.