POMMERY, une architecture aristocratique
La structure, l’équilibre, l’harmonie ou en un mot l’architecture d’un vin, sont certainement les éléments de son excellence et du plaisir que procure sa dégustation. Il est bien naturel que celle-ci soit précédée d’un rapide examen visuel, élégance de la robe, parée pour un vin de Champagne d’un boa de fines bulles blanches ; après la vue, l’odorat évaluera les effluves annonciateurs des flaveurs qui enfin mettront l’amateur en joie.
Cela dit, la finalité du vin étant d’être dégusté et non pas contemplé tel un objet d’art ni apprécié comme un parfum, c’est en bouche qu’on découvrira son charme, la grâce de son « corps » et la finesse de son « esprit ». Valables pour tous les vins, ces réflexions le sont encore davantage pour le vin de Champagne, vin construit, vin d’assemblage selon l’expression consacrée, bâti de dix, vingt, trente ou plus encore de crus complémentaires, vins de la dernière vendange et vins vieux de réserve.
Chaque année, avec des « matériaux » jamais exactement semblables, il s’agit en effet de construire un vin toujours de même style et de même esprit. Si l’on reconnaît que le vin brut sans année est la signature de toute Maison, le vin d’un millésime portera un paraphe au côté de celui de l’année, co-auteur en quelque sorte.
S’il est une Maison de champagne qui illustre le mieux cette spécificité champenoise, c’est bien la Maison Pommery qui, par son vignoble, ses vins et son patrimoine architectural, le tout en parfaite symbiose, forme depuis 1878 un domaine de qualité exceptionnelle et unique en Champagne.
La Maison fut fondée en 1836 par M. Greno, avec lequel M. Pommery s’associe en 1856. La société prit alors la raison sociale de Pommery & Greno, avec pour siège social un bel hôtel particulier situé 7 rue Vauthier le Noir, en plein cœur de Reims. Madame Pommery, née Mélin en 1819 au château d’Annelles (Ardennes), était la fille de propriétaires terriens. Elle fit de sérieuses études qu’elle termina en Angleterre afin de se perfectionner en anglais. Ce séjour sera déterminant pour l’évolution de la Maison Pommery. De son mariage avec Louis Pommery elle eut deux enfants. Son mari n’exerça pas longtemps ses fonctions de PDG de la société car il décéda subitement à Reims en 1858.
Veuve à 39 ans, Madame Pommery, sur les encouragements de Narcisse Greno et d’Henri Vasnier que Louis Pommery avait fait venir de Londres, se décide à continuer le commerce des vins de Champagne. Consciente de l’importance du marché britannique elle ouvre un bureau de représentation à Londres et prend le parti d’abandonner définitivement le commerce des vins rouges pour se spécialiser dans la préparation des vins blancs mousseux, en s’attachant à ne traiter que les raisins des meilleurs crus. A cette époque, la direction de plusieurs grandes maisons de négoce était confiée à des familles d’origine rhénane qui prospectaient leur clientèle dans les cours de l’Europe continentale de préférence.
Au contraire, Madame Pommery porte ses efforts sur le marché britannique, et effectue plusieurs voyages en Angleterre. Les nombreuses relations amicales nouées depuis son premier séjour, ses goûts personnels et la consultation de ses agents la persuadèrent de réaliser des vins plus légers, plus subtils, plus naturels. A cette époque le vin de Champagne était très sucré et de ce fait réservé aux fins de repas, sur les desserts. Madame Pommery déplorait cet usage limité, estimant que son vin devait être celui de tous les instants. Elle décida donc de revenir à une certaine tradition, car à l’origine les vins de Champagne de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème siècles étaient beaucoup moins édulcorés et infiniment plus légers.
Le Pommery brut 1874 ne connut qu’un succès relatif, mais le triomphe fut total avec le Pommery Nature 1875. Les plus raffinés amateurs ne voulaient plus désormais déguster d’autres vins que ces vintages de qualité. Cette même année, 1875, fut celle du mariage de sa fille avec le Comte Guy de Polignac, que Madame Pommery associe à sa Maison. La société connaissait une expansion régulière et importante, si bien que les locaux de la rue Vauthier le Noir s’avéraient trop exigus. Un transfert devenait inéluctable et urgent. Aussi, dès 1868, Madame Pommery avait jeté son dévolu sur des terrains situés au sud de Reims, au-delà des remparts, sur la route de Châlons-sur-Marne. Terrains vagues couvrant une cinquantaine d’hectares, ils figuraient au cadastre sous le nom de Crayères, sur la butte Saint-Nicaise et comportaient en effet plus de cent crayères sommairement bouchées. La plus grande partie se situaient au sud du terrain, d’autres un peu moins nombreuses au nord. Les premiers travaux entrepris consistèrent à déblayer ces pyramides souterraines puis à les relier entre elles. Entre les deux secteurs, nord et sud, Madame Pommery fit creuser tout un réseau de galeries parallèles, communicantes par quelques autres, selon un plan rigoureux, l’ensemble totalisant 18 kilomètres, taillées dans la craie à 30 mètres de profondeur. Elles sont à température constante de 10° Celsius, ce qui en fait un séjour idéal pour le vin. Quant aux bâtiments de surface, ils ne devaient le céder en rien en dimension et en grandeur.
Née dans le vaste château d’Annelles commandant une forêt de 680 hectares, Madame Pommery avait naturellement le sens et le goût des grands espaces. Elle avait gardé de ses séjours en Angleterre et en Ecosse un souvenir heureux. Les demeures gothiques d’Argyll, de Haddington, leurs pelouses immenses et leurs parcs à l’anglaise l’avaient enchantée. Enfin ses activités commerciales qui la mettaient en relation avec la plupart des capitales de l’Europe, voire du Nouveau Monde, lui donnaient un sens peu commun des relations humaines. Européenne avec un siècle d’avance, elle ne concevait pas son entreprise enfermée dans des limites étroites, à l’abri des regards, comme si la prospérité et la réussite devaient être cachées. Cette pudeur bourgeoise lui était inconnue. Elle concevait « sa » Maison à l’image de son succès, sans ostentation provocante, mais néanmoins avec splendeur, en témoignage des vertus du travail et de l’esprit d’entreprise. Sur la base de documents confiés par des familles amies, propriétaires des châteaux écossais d’Inveraray et Mellerstain, Madame Pommery conçut un projet apte à concilier les contraintes d’une architecture sortant de l’ordinaire et les exigences de constructions à vocation industrielle et commerciale. La réalisation fut confiée aux architectes rémois Ch. Gozier et Alphonse Gosset, personnalités de premier plan. Gosset était un familier du courant néo-gothique, auteur notamment d’un traité sur les églises à coupoles néo-byzantines.
Les travaux débutèrent après les vendanges de 1870… et les Rémois découvrirent, en l’année 1878, sur la colline Saint-Nicaise, les nouveaux bâtiments de la Maison Pommery, identifiables entre tous et s’imposant majestueusement. Si le bâtiment flanqué de deux grosses tours rondes exerce une certaine fascination, il ne mobilise pas le regard aussitôt attiré par les constructions immédiatement voisines, classiques comme le pavillon abritant réception et bureaux, typiques comme les divers entrepôts, tonnellerie, chais avec ses tours hautes en décrochement. Cet ensemble, apparemment jeté au hasard mais en réalité disposé selon un rythme savant, confère une impression à la fois de calme, de sérénité et d’activité organisée dans un double urbanisme souterrain et de surface.
Tours et hauts murs crénelés, association insolite d’un revêtement gris-bleuté et chaînages de briques rouges constituent une claire référence aux châteaux d’Outre-Manche. C’est un hommage ouvert à une clientèle fidèle qui appréciera de s’approvisionner auprès d’une Maison où elle se sentira chez elle. Madame Pommery n’ignore pas que ces bâtiments industriels à allure de castel confortent subtilement l’image élitiste que véhicule son industrie de luxe. Elle a ainsi créé une image de marque prestigieuse et unique ; et surtout a prévu si largement qu’aujourd’hui encore, malgré les aménagements importants nécessités par l’évolution technologique, aucune adjonction n’est venue détruire l’harmonie de cet ensemble architectural étonnant. On a souvent été tenté de dresser un parallèle entre la magnificence des grands châteaux bordelais et celle de leurs vins. Il semble que ce ne soit pas qu’une idée poétique dans le cas de Pommery. Son cadre crée un sentiment de plénitude qui conditionne les hommes. Le vin de Pommery se construit selon des règles strictes qui tiennent de la discipline architecturale, où la rigueur et l’équilibre des composants conduisent à l’harmonie.
Après madame Pommery, dont la cuvée de prestige de la Maison perpétue le souvenir, ce fut sa fille, la Marquise de Polignac, puis les Polignac qui assurèrent la continuité. Aujourd’hui encore, le Prince Alain de Polignac, œnologue-chef de cave, descendant direct de la fondatrice, est le garant du style, en maintenant la tradition brillante qui a fait la haute réputation du champagne Pommery, reflet fidèle de l’incomparable image de prestige.