Franche-Comté
Décidément, le Jura vinicole n'en finit pas d'étonner et de séduire les amoureux du vin. Petit vraiment par la taille - moins de mille hectares de vignes - il devient grand, infiniment grand, par la noblesse et la complexité de ses différents terroirs, la diversité de ses cépages savagnin, trousseau, poulsard propres à la région, la palette de ses vins rouges blancs et rosés, mousseux ou tranquilles répartis entre des appellations aussi réputées qu’Arbois, l'Etoile, Côtes de Jura. Avec les fameux vins jaunes et vins de paille, le Jura devient grandiose.
A PROPOS DE ROSÉS, DE TERROIR, DE CEPAGE…
Il existe dans le Jura des terres faites pour la vigne, à dominante de marnes grises légères, en fait des roches sédimentaires formées d'un mélange de calcaire et d'argile. Le raisin aime le calcaire, qui exalte ses arômes, et l'argile qui renforce sa puissance. Sur ces marnes, le poulsard jurassien, cépage noir au visage pâle (la peau du raisin est plus proche du rosé que du violet foncé) a trouvé sa terre d'élection. Ces marnes, on les rencontre un peu partout en Franche-Comté, mais particulièrement aux alentours de Pupillin, petite cité incluse dans l'appellation Arbois. Le poulsard a le privilège unique dans le vignoble de fournir, vinifié en rouge, un vin si clair qu'il est considéré comme rosé. C'est même, au plan de l'œnologie, le seul rosé vrai de France ! Rappelons que la coloration du vin rouge est due aux matières colorantes contenues dans la pellicule de raisin, et que lesdites matières colorantes passent dans le moût - le futur vin - lors de la macération des vendanges dans les cuves. Plus la macération est longue avant le pressurage et le soutirage du moût, plus la robe du vin sera soutenue, jusqu'à devenir du rouge quand toute la couleur est récupérée. Les rosés sont obtenus par interruption de cette macération au moment où le vigneron décide que son vin est rosé selon son goût. En fait les rosés sont obtenus par I.V.C., interruption volontaire de coloration, qui intervient à l'initiative du vigneron, fier d'élaborer un rosé à sa couleur, rosé d'une heure, d'une nuit, de plus en plus soutenu. Cette vinification donne en quelque sorte un rouge « prématuré » auquel, outre la couleur, il manque une certaine tannicité compensée par un fruité plus appuyé. De quoi satisfaire ceux qui redoutent les tanins et ceux qui recherchent les arômes bien présents. Eh bien, le poulsard, vinifié en rouge, après une macération longue, s'obstine du fait de sa pâleur à fournir un rouge parfaitement tannique, particulièrement aromatique, joliment rose abricoté, et néanmoins charnu et corsé.
Légalement, ce vin au teint clair est un rouge, mais il s'est trouvé des parrains gourmands, fins connaisseurs épris de Jura et de vérité qui, las d'appeler robe rouge ce qui était jupon rose, l'ont baptisé « rosé de Pupillin », tout en lui gardant son patronyme officiel Arbois-Pupillin AOC. Impossible autrement car, à Pupillin, on fait aussi de très bons rouges de trousseau, d'excellents blancs de chardonnay… et même du vin jaune…
Des rosés de poulsard, frères jumeaux de celui de Pupillin, il y en a dans tout le Jura AOC. Sans bousculer la hiérarchie qui fait du Tavel AOC le premier rosé de France, notons que bien des experts placent le rosé de poulsard sur le même plan, avec à son avantage le fait que ce rouge/rosé, le seul transsexuel du vignoble, est un rosé « nature » accouché sans « I.V.C. ». Une étreinte vineuse à ne pas manquer.
Henri Elwing