BORDELAIS, LENTE REHABILITATION DES BLANCS SECS DE BORDEAUX...
L'histoire nous l'enseigne et les textes anciens de la gourmandise nous le confirment : c'est aux rouges et aux blancs liquoreux que le vin de Bordeaux doit son indiscutable et universelle réputation. Rien d'étonnant à cela, avec des entités aussi prestigieuses que Médoc, Graves, Pomerol, Saint-Emilion, Sauternes, Barsac ! Avec des châteaux célébrissimes, Margaux, Latour, Lafite, Haut-Brion, Pétrus, Cheval-Blanc, Yquem, tous rouges et un liquoreux devant, dont les seuls noms évoqués suffisent à mettre l'eau à la bouche de pas mal d'assoiffés à travers le monde ! Les blancs secs, en revanche, mises à part quelques somptueuses exceptions dans les Graves, n'étaient pas du Gotha girondin, ce qui ne laissait pas d'être inquiétant pour un vignoble voué à 60% aux blancs, plus abondants secs que liquoreux de surcroît. Inquiétude hélas justifiée au début des années 50 avec la désaffection du public pour les vins blancs en général, accusés de tous les péchés de migraine. Mal aimé, le blanc se laissait aller, perdait le goût de la qualité et se perdait de réputation. Triste époque pour les fidèles du blanc trahis dans leur foi alors que, dans le même temps, les rouges de Bordeaux, dotés d'un nouveau guide œnologique, Émile Peynaud, envoyé de Bacchus sur terre girondine, commençaient une fantastique ascension qualitative… même les plus modestes !
A l'issue du grand gel de 1956, la majorité du vignoble bascula dans le rouge, à 60/70%. Les blancs secs, bordeaux, entre-deux-mers, graves blancs même, vivaient le purgatoire et le purgatoire débouche sur le paradis, nul n'est censé l'ignorer !
LENTE REHABILITATION DES BLANCS SECS DE BORDEAUX
Pour les blancs secs bordelais, la conquête de la qualité est née dans les années 1965 – 1970, quand une poignée de vignerons, indécrottables du blanc et de modestes appellations, plutôt que de passer aux rouges, ont préféré rééquilibrer leur encépagement traditionnel de vignes blanches, sémillon, sauvignon, muscadelle. Le cépage sémillon, tardif mais idéal pour le liquoreux quand il prend bien la pourriture noble au bon moment, donne en sec un vin à l'arôme-bouquet original et superbe, plus proche de la cire d'abeille virile que du miel lascif. Une pure merveille bordelaise dont j'aime me régaler sans modération ! Longtemps très majoritaire (60 à 80?s vignes blanches) pour cause de liquoreux éventuel, il gagne en blanc sec à se marier au sauvignon frais, fruité, épicé, musqué mais à mon goût trop envahissant au-delà d'une proportion dépassant 40% au détriment du sémillon. Encore que je connaisse et apprécie des bordeaux blancs secs 100% sauvignon magnifiques, le bordeaux AOC mono-cépage ne perd-il pas de sa complexité ? Autre risque inhérent au sauvignon : cueilli avant maturité ou vinifié sans minutie, il sent le suint, le pipi de chat. Quant à la muscadelle, saveur guimauve mêlée angélique, ingrate à mener, elle devient trop rare, 10%, des fois moins, ou rien. Pourtant, certains la bichonnent jusqu'à 20%, et vous diront qu'elle est fameuse, indispensable…
Ce rééquilibrage de l’encépagement, maintien de la muscadelle, harmonisation entre sémillon légèrement majoritaire et sauvignon à peine minoritaire, allait donner naissance à deux familles de blancs secs, celle des vins qui sémillonnent et celle des vins qui sauvignonnent, engagées dans un même combat, la qualité.
LENTS PROGRES EN VINIFICATION DES BLANCS SECS
De 1970 à 1980, la vinification en blanc, grâce à la mise en œuvre de deux atouts maîtres, le froid et la protection anti-botrytis, a fait des progrès vertigineux auxquels est lié l'Institut œnologique de l'Université de Bordeaux II animé par le professeur Pascal Ribereau-Gayon et Denis Dubourdieu, professeur, chercheur et vigneron sur le terrain, jeune étoile de l’œnologie blanche, qui sera aux blancs ce qu’Emile Peynaud a été aux rouges.
La vinification à température contrôlée, démarrée en 1970, est devenue pour les blancs une vinification à froid avec fermentation alcoolique débutant à 15°, et finissant à moins de 20°, une technique qui permet d'extraire le maximum des moûts bien clarifiés.
La mise au point, vers 1975, de traitements anti-botrytis a permis de contrer fortement les caprices du champignon et, conséquemment, d'attendre la bonne maturité des raisins. Rappelons que le botrytis cinerea est ce champignon qui joue tantôt l'ange quand il frappe le raisin bien mûr, et c'est la pourriture noble des grands liquoreux, tantôt la bête quand il frappe avant maturité, et c'est l'infâme pourriture grise qui condamne le raisin à la décharge.
Nullement repu de son rôle dans la prévention anti-botrytis, Denis Dubourdieu s'efforce actuellement de généraliser la technique de la macération préfermentaire, qui apporte au vin une richesse, une profondeur renforcée. Il s'agit de laisser macérer les peaux et le jus des raisins de 4 à 12 heures sous très basse température, environ 8 à 12°, de façon à empêcher le départ de la fermentation, étant entendu que cette macération se fait à l'abri de l'oxygène de l'air pour éviter l'oxydation néfaste du moût. Cette macération préfermentaire, souvent sous atmosphère de gaz carbonique, apporte au moût toutes les matières intéressantes des peaux qui, sinon, seraient perdues, puisqu’auparavant on se dépêchait de presser et de mettre en fermentation pour éviter une oxydation galopante.
Une équipe de l'Institut œnologique de Bordeaux travaille avec des résultats prometteurs sur un nouveau procédé apte à améliorer la qualité des blancs secs et liquoreux, il s'agit de la cryo-extraction sélective des moûts (brevet Kreyer). Procédé qui permet, par une sorte de congélation sélective de la vendange, de n'utiliser que des grains bien mûrs et très sains pour obtenir des moûts de premier choix, gages de bons vins.
Et le vin dans tout cela ? On pouvait craindre que toutes ces manipulations ne risquent de le standardiser. Que les mêmes méthodes ne conduisent aux mêmes jus. Objection, amis buveurs, il ne s'agit là d'aucune manipulation génétique sur le raisin, ni de modifications pédologiques du terroir. L’œnologue est resté dans son rôle de pédiatre du vin, il ne déborde pas sur le vigneron qui est le géniteur. En revanche, les blancs secs que j'ai testés à droite et à gauche dans le vignoble, m’ont enchanté et sont bien marqués de leurs terroirs respectifs. Ils ont gagné leur titre de grande noblesse, même s'ils ne sont pas tous des adeptes convaincus de l'infaillibilité du pape Dubourdieu.
FULGURANTE RESTAURATION DE L’IMAGE DES BLANCS SECS
Le vin blanc est de nouveau à la mode, et désormais le blanc sec de Bordeaux saura se faire aimer, qu'il soit de grande naissance ou de petite extraction. Les vins que je vous cite, tantôt sauvignonnés, tantôt sémillonnés, m'ont tous convaincu. Peut-être ne les aimerez-vous pas ? Tous les goûts sont dans la nature et vous aurez vos raisons.
Pour me faire pardonner de ceux que je ne cite pas, je précise : que je ne suis pas infaillible mais consommateur exigeant ; que je ne suis pas exhaustif mais consciencieux et prêt à goûter ce que je ne connais pas ; que je suis subjectif mais honnête, et si tous les vignerons que je cite sont des amis, les vignerons-amis que je ne cite pas sont encore plus nombreux.
Appellation Léognan-Pessac, les blancs de : Château-de-Fieuzal, conseillé par Denis Dubourdieu. Château-Latour-Martillac (groupe CVBG) conseillé par Denis Dubourdieu. Château-Bouscaut à Louis Lurton, œnologue Roma, élève de Pascal Ribereau-Gayon et Denis Dubourdieu. Là, on se tâte pour la macération préfermentaire dont on redoute qu'elle ne favorise le cépage au détriment du terroir, sublime, de Bouscaut !
Appellation Graves, les blancs de : Château d'Ardennes aux frères Dubray à Illats, un de mes favoris. Château-Brondelle à Roland Belloc près de Langon. Château-la-Vieille-France à Michel Dugoua de Portets. Château-Repside- Medeville à Christian Medeville de Preignac.
Appellation Premières Côtes de Bordeaux, les blancs de : Château-Tanesse, un domaine Cordier mené de main de maître par Georges Pauli, qui réussit avec le même bonheur le rare et fabuleux Caillou Blanc de Château-Talbot, un des seuls bordeaux blancs du Médoc. Château-de-Plassan à Jean Brianceau sur Tabanac. Château-Suau à Monique Aldebert-Bonnet sur Capian.
Appellation Entre-deux-Mers, les blancs de : Château-les-Hauts-de-Sainte Marie-sur-Targon, à Gilles Dupuch, que l'on peut joindre à Créon et qui vaut le dérangement tant il est exemplaire et convaincant. La cave coopérative d'Espiet, qui fut un formidable outil pour la mise au point des techniques nouvelles, et dont les blancs valent le détour. Dans le Blayais, les Caves des Hauts de Gironde à Civrac fournissent d'excellents jus au négoce.
Appellations Bordeaux et Bordeaux supérieur : à la Maison de la Qualité de Beychac et Caillau, près de mille vignerons exposent en permanence leurs produits, parmi lesquels des blancs exceptionnels que l'accueil vous aidera à dénicher. La Maison Dourthe (CVBG) a sorti son Numéro 1, blanc sec concocté par Denis Dubourdieu et son disciple Christophe Olivier. Numéro 1, somptueux millésime 1987, dont l'apparition fera date dans la consécration du bordeaux blanc sec… si le prochain millésime est du même tonneau.
Enfin, comment ne pas citer Château-Reynon à Denis Dubourdieu sur Béguey (Premières Côtes de Bordeaux) et Clos-Floridène au même, les vignobles- cobayes du pape des blancs secs, que j'ai connu jeune marié, papa tout neuf, et qui depuis a fait un sacré bout de chemin !