Loire
Mieux qu'un bicentenaire, le vignoble nantais, et plus spécialement le pays du Muscadet, fête cette année le deux cent quatre vingtième anniversaire de la révolution glacée ! En effet, l'hiver de 1709 a révolutionné le vignoble, attaquant sauvagement les ceps de la pointe de ses glaçons, retournant complètement la situation : après des mois de janvier et février doux et pluvieux, succédèrent cinq semaines de froid intense. La mer gela sur les côtes, et les souches gorgées d'eau gelèrent aussi, sauf peut-être quelques plants de « Melon musqué » qui existaient déjà et qu'on signale dès 1639 (trois cent cinquantième anniversaire). A cette date, les cépages dominants étaient le « Breton » rouge et quelques Pineau de Loire, ou Chenin blanc.
On avait essayé un nouveau plan, un ancien de Bourgogne où il venait d'être interdit de séjour, le melon de Bourgogne. Ce nom de melon lui viendrait de la forme que prend parfois la feuille qui se referme à l'extérieur, prend la forme d'un melon. On l'appelait également « Melon musqué », ce qui aurait donné muscadet ! Il n'y a cependant aucune trace, même infime, de goût ou d’odeur musquée dans ce melon !
Les premiers plans de ce Melon bourguignon résistèrent au gel, et ce fut certainement déterminant pour sa carrière bretonne (à noter qu'il résista assez bien au rigoureux hiver de 1956 !)
On replanta donc beaucoup de ce cépage, et l'événement marqua à ce point les esprits que plusieurs lieux-dits ont pris le nom de Bourguignons et qu'on trouve, çà et là, des rues de Bourgogne, par exemple à Loroux-Bottereau !
Mystère de la nature et des affinités entre le plan et le sol, le sol et le climat, la pluie, le vent : grâce à une combinaison unique de tous ces éléments, le Melon, qui donnait un vin médiocre en Bourgogne, en fit un excellent en pays nantais ! Vérité en deçà, erreur au-delà…
Aux côtés du Muscadet, principalement vers l'océan, le Gros-Plant semble se nourrir surtout des embruns proches et du soleil ! Gros-Plant ou Folle-Blanche, il doit ce dernier nom à son exubérance, à ses vrilles longues et en tous sens comme des cheveux fous.
Ces deux vins se complètent admirablement, partant du niveau de la mer pour atteindre quelque sommet gourmand. Certes, qui peut le plus pouvant le moins, un Muscadet s'accorde à la perfection avec un plateau de fruits de mer, et plus particulièrement avec les huîtres. Toutefois un Gros-Plant, ô gouleyant paradoxe, fin, finement perlant, s'avère le vin marin par excellence. Seulement, il y a Gros-Plant et Gros-Plant, Folle-Blanche et Folle-Blanche, celle de l'abondance, des pampres déchaînés, des grandes marées vendangeuses, et celle du rendement sage qui rend sa folie douce et parfois géniale. Il y a encore le rôle du vigneron qu'il ne faut pas oublier, mille sabords, le vigneron, navigateur qui sait éviter les écueils et mener à bon port sa vinification jusqu'à la mise en bouteilles sur lie.
Le procédé commun à tous les vins blancs, faut-il le rappeler, est le suivant : on presse, et le moût est aussitôt mis en cuve (ou en fût) en vue de la fermentation alcoolique. Lorsqu'elle est terminée, on débourre, on soutire si l'on préfère, c'est-à-dire qu'on transvase le vin afin de le séparer de sa lie. On répète l'opération jusqu'à obtention d'un vin bien clair.
En pays Nantais, une autre méthode consiste à ne pas soutirer, à laisser le vin sur sa lie. Ce dépôt naturel, fait de toutes les particules solides, résidus des levures, est parfois désigné comme « mère du vin » parce que le nourrissant, lui conservant sa fraîcheur et son fruit en absorbant l'oxygène, ce qui le préserve de l'oxydation.
Le vin n'étant pas remué par les différents soutirages, conserve et dissout une partie du gaz carbonique dégagé lors de la fermentation, ce qui confère ce « perlant » léger, si apprécié de l'amateur de vin frais, jeune et fruité. La mise en bouteilles se fait directement de la cuve, sans soutirage préalable, sans collage ni filtrage, et par simple gravité. C'est un procédé simple, antique, naturel mais… délicat, car il comporte bien des risques : il ne convient qu'à une vendange saine, sans grains pourris ni autres accidents qui ne manqueraient pas d'altérer le vin et de lui communiquer des goûts désagréables. Ce procédé artisanal, dans la plupart des cas complété d'une filtration, donne un Muscadet ou Gros-Plant d'une finesse incomparable.
Il existe trois appellations distinctes :
- Le Muscadet AOC ou encore Muscadet Val de Loire AOC est produit sur l’ensemble des aires d'appellation Muscadet, soit sur plus de 10.000 hectares de vignes. Le vin doit titrer au minimum 9° 5 et au plus 12° d’alcool. Sa production tourne autour de 200.000 hectolitres par an, dont une part importante est commercialisée en « primeur ». C'est un vin sec, un tantinet acidulé, vif et légèrement canaille comme un bon p’tit blanc de comptoir.
- Le Muscadet des Côteaux de la Loire AOC provient d'un secteur en amont de Nantes, sur l'une et l'autre rive de la Loire, Ancenis se trouvant approximativement au centre de l'aire. Les vins doivent présenter une richesse alcoolique minimale de 10° et maximale de 12°. Le vin est bien typé, avec un bouquet à tendance végétale, fougère, paille, frais et agréable en bouche. La production est relativement faible, moins de 20.000 hectolitres bon an mal an, dont 10% environ déclaré « sur lie ».
- Le Muscadet de Sèvres-et-Maine AOC ou Muscadet de Sèvres-et-Maine-Val-de- Loire AOC est la troisième appellation, la plus importante en volume, environ 500.000 hectolitres par an et, par chance, hiérarchiquement la plus élevée dans l'ordre croissant du plaisir. Une mise sur lie authentique peut conférer au vin un rang insoupçonné parmi les plus renommés.
Les efforts à tous les niveaux pour porter les vins de ces appellations vers la meilleure qualité, se sont traduits par des résultats qui peuvent étonner. Les Muscadets sont les champions de l'exportation ! En moins de dix ans, la part de l'exportation est passée de 20 à 45% du total des ventes. Plus de 60 pays au monde sont aujourd'hui consommateurs de Muscadet, les principaux importateurs étant basés en Europe du Nord, sur le continent nord-américain et, depuis peu, dans le sud-est asiatique.
Le premier marché et le plus ancien demeure toutefois le Royaume-Uni. Les Muscadets y occupent la première place des AOC blancs en volume, et la seconde de l'ensemble des vins importés. Ce marché absorbe 20% du total des ventes, ce qui représente environ 130.000 hectolitres.
Tout naturellement, les pays grands consommateurs des produits de la mer sont les meilleurs clients, ceux où les ventes progressent de façon spectaculaire : Danemark, Pays-Bas, Irlande, Japon, etc…
Pour les professionnels nantais, le marché unique européen est déjà une réalité, et 1993 n'apportera aucune révolution. Buvons en paix !