PASSION DES VINS

La tendresse des nuits…

La tendresse des nuits…

La conception manichéenne du vin est fort répandue dans les milieux amateurs parce qu'elle simplifie les classements : les bons d'un côté, les mauvais de l'autre. En Bourgogne, où l'on ne connaît pas de mauvais vin, cette conception des choses est appliquée sans nuances par de trop nombreux prétendus connaisseurs à propos des vins de la Côte-de-Nuits et de la Côte-de- Beaune. Les premiers sont déclarés virils, puissants, tanniques, les seconds féminins, tendres, discrètement tanniques. C'est facile, c'est clair et ce n'est pas tout à fait faux ! …

Mais c'est tout à fait inexact ! En effet et Dieu merci, au pays des vins virils il en est de féminins, et réciproquement si l'on peut dire, puisqu’au pays des vins tendres et féminins, il en est de fort mâles !

Aucun mystère à cela, seulement la résultante de la diversité des sols, des expositions, des millésimes qui font qu'aucune année ne ressemble à une autre et que chaque vendange donne un vin original. Enfin, l'intervention de l'homme est importante car il peut diminuer ou accentuer les tendances naturelles et imprimer à son vin tel ou tel autre style. Ne dit-on pas tel vin tel maître ? (maître-vigneron !)

Toutefois, à soins culturaux égaux, à vinification adaptée et conduite avec une même maîtrise, à cépages identiques, c'est le terroir qui fera la différence, d’où la notion primordiale de l'origine.

Un vin du plus haut niveau de qualité ne peut provenir que d'un terroir où sont réalisées les meilleures conditions de maturation progressive, celles qui assureront au vin le parfait équilibre de ses constituants, force et bouquet. Cela dit, on ignore encore totalement le rôle de certains éléments chimiques du milieu, par exemple le potassium, le manganèse, ou le magnésium sur le type ou la finesse des vins. En revanche, on connaît leur rôle dans le développement et la productivité de la vigne.

Sans entrer dans les détails de la géologie dont le vocabulaire est assez hermétique, nous dirons que les substrats des deux Côtes, de Nuits et de Beaune, ne sont pas de même nature, pas plus que les sols qui comprennent, suivant l'altitude, divers niveaux de qualité. La pente, la pierrosité, la teneur en argile, le calcaire influent directement sur la qualité. On note moins de différence entre les caractéristiques des sols des AOC Grand Cru et Premier Cru, qu’entre les appellations Villages et régionales Bourgogne qui sont beaucoup plus différenciées. La pierrosité est un facteur important de qualité car elle favorise le drainage naturel et limite les excès d'eau de rétention. Or, la proportion varie de 5 à 40?ns les Grands et Premiers crus et tombe à moins de 5?ns les terroirs à AOC Bourgogne. Parallèlement, les meilleures terres à vignes se situent sur des pentes de 3 à 5% et parfois davantage, alors que les AOC Bourgogne situées sur des terres de piémonts, sont à moins de 2? pente. Plus simplement, les vignes prospérant sur un substrat de roches calcaires donneront des vins durs dans leur jeunesse, mais qui seront de longue garde, tandis que les vignes implantées sur un sol où se mêlent marnes et calcaires donneront des vins plus tendres, souples et ronds, plus rapidement prêts à la dégustation.

Dans les Côtes-de-Nuits, les vins les plus tendres proviennent des villages situés aux débouchés d'une combe, cas de Nuits, Chambolle, Morey-Saint-Denis, Gevrey et Marsannay.

De ces combes, dépressions creusées dans l'axe du plateau, se sont déversées aux temps géologiques naturellement, des roches, marnes, sables, limons rouges et cailloutis dont l'influence sur la structure souple et déliée des vins est certaine. Le cas de la commune éponyme de Nuits est particulier et pour tout dire fait exception à la règle. Nuits, dont le nom tirerait son origine de la forêt de noyers qui jadis occupait les lieux, à moins, autre étymologie, que le nom vienne d'amas de pépins fossiles de raisin qui pullulaient dans ce secteur  -  nucleus, noyau, pépin de raisin (Pline)  -  explication qui vaut bien tout autre. Nuits semble construite dans l'axe de la combe, de la vallée d'où s'écoule la petite rivière le Meuzin. Le vignoble est installé sur les deux ailes du cône de déjection, et les Premiers crus se trouvent de part et d'autre et au pied des deux collines. Voilà sans doute pourquoi les vins de Nuits-Saint-Georges n'ont pas la souplesse qu'on aurait pu attendre, mais sont au contraire corpulents et solides, en vrais vins de la Côte-de-Nuits. Tel ce superbe Nuits-Saint-Georges 1983, les Damodes, Premier cru situé à l'extrémité de l'aire, à la limite de celle de Vosne-Romanée (propriété de la maison Viénot) : année surmaturation, le nez est un peu alcooleux, puissant, pruneaux cuits, macérés  -  charpente solide, les tannins ont encore à s’assouplir  -  vin puissant, à point en l'an 2000. Chambolle-Musigny en revanche illustre parfaitement notre propos sur les vins tendres de la Côte-de-Nuits. Ici, les sols calcaires allégés par de nombreux cailloux et graviers, influent sur la structure souple des vins de Chambolle. Les Grands crus, les Bonnes Mares au nord, les Musigny au sud, sont tout naturellement aux extrémités des deux ailes de l'aire, au pied des collines, tandis que près de la combe sont groupés Premier crus et vins d'appellation communale, bien dans la ligne des vins élégants, fins, aux arômes de framboise, fraise, violette, … le corps marqué par des tannins fins associés au moelleux. Les Premiers crus présentent une plus forte concentration et plus de fermeté, les Grands crus la puissance et la solidité (Bonnes Mares) la souplesse, la corpulence et la distinction (Musigny).

Gevrey a eu bien raison d'ajouter à son nom celui, célèbre dans le monde entier, de Chambertin ! La gloire du Chambertin rejaillit sur l'ensemble des vins qu'on ne saurait confondre, ne serait-ce que par les différences de prix, les grands Crus étant facilement quatre fois plus chers que les vins d'appellation communale. A la puissance, à l'ampleur dans la finesse des Grands crus, s'opposent la douceur, la délicatesse d'un Gevrey que certains amateurs définissent comme les « Côtes-de-Beaune de la Côte-de-Nuit » … Un vin de 1986, Domaine Viénot d’AOC Gevrey-Chambertin, s’avéra en effet d'une grande finesse, délicat malgré ses arômes bien développés tirant sur l'animal, le petit gibier, sans préjudice de notes fruitées, baies de cassis et autres fruits rouges. La Vouge est le témoin vagabond des bouleversements géologiques, en partie responsable des sols caillouteux de Vougeot. Son Clos fameux, de 50 hectares 59 ares 10 centiares n'a pas changé depuis sa fondation ou plus exactement l'édification de sa clôture qui date de 1336. Malgré l'unité de style des vins, la plaisante division du clos en trois climats, cuvée des papes dans le haut des terres, cuvée du roi au milieu et cuvée des moines dans le bas, reste valable. La partie haute est à quelques 265 mètres d'altitude, celle du bas à 240 mètres, ce qui explique que par année sèche les vins du bas présentent plus d'agrément et de finesse que ceux du haut qui prennent l'avantage en année humide. On dit que jadis les moines assemblaient les vins des différents climats pour obtenir le meilleur vin de toute la Bourgogne !                                                              Les sols calcaires, avec quelques traces de marnes de Fixin, donnent aux vins une robe d'un rouge soutenu, une structure à dominante tannique, une bonne acidité, de la charpente, toutes qualités qui les rangent dans les vins de garde. Il en est autrement de la dernière, on a envie de dire la petite dernière, Appellation d'Origine Contrôlée de Bourgogne (1987 …  en fait ce n'est pas exactement la dernière, c'est Côte Chalonnaise, février 1990), il s'agit de Marsannay, devenue appellation communale à part entière.

Elle concerne les villages de Marsannay-la-Côte, Chenove et Couchey. Si le rosé de Marsannay jouit d'une ancienne réputation, c'est toutefois la production de vin rouge qui domine, un vin de bonne structure, élégant, et ne manquant pas d'ampleur. Il doit ses qualités au sol brun foncé, sec, de composition calcaire-marne-argile, comportant des cailloux et graviers favorables à un bon drainage naturel. Les rosés tendres et fruités sont vifs, avec des arômes de raisins frais, ce qui semble rare puisque les « nez » décèlent plus volontiers des parfums de rose, de fraise des bois et autres fruits ! … Enfin suprême atout, les vins de Marsannay bénéficient de la meilleure note rapport qualité/prix de tous les vins de Bourgogne ! Une aubaine pour les amateurs de vins tendres de la Côte-de-Nuits !