Les sorciers du Riesling
On sait, depuis Proust, la force des parfums du souvenir. L'avenir a les siens, le futur aussi, mais « carpe diem » les meilleurs ne sont-ils pas ceux du présent, immédiatement disponibles, à portée de main sinon de nez ?
Tels se présentent les vins d'Alsace, celui issu du Riesling, cépage traditionnel s'il en est puisque certains auteurs l'ont assimilé à l'Argitis des Romains, d'origine grecque, la vigne d'Argos notamment, selon Balthasar Sprenger (1724- 1791) auteur en 1765 d'un traité complet de la culture de la vigne avec, en co-auteur, Stoltz : « Ampélographie rhénane ».
De sélections en mutations et greffages, le Riesling serait devenu ce qu'il est aujourd'hui, assez différent de celui d'outre-Rhin. Cela dit, Claude Sittler (CNRS) et Robert Marocke (INRA de Colmar) le donnent comme ayant été introduit de Rhénanie en Alsace au 15e siècle, mais originaire de l'Orléanais ! Qu'importe son origine, chacun s'accordant à le reconnaître comme le « grand » cépage, l'alter ego du Chardonnay et, comme ce dernier, pouvant donner un vin de grande classe pourvu qu'on ne lui demande pas un rendement exagéré et qu'on le favorise d'un sol adapté argilo-calcaire en bonne exposition. Il occupe actuellement 2.871 hectares, en progression de 2,4 fois par rapport à 1969. Il représente ainsi 21,8? la surface plantée. En Alsace, si l'on connaît depuis longtemps la notion de cru, on a malheureusement conservé une habitude des rendements excessifs dont l'origine remonte aux occupations, quand l'autorité voulut favoriser les vins allemands et réserver aux vins alsaciens le soin de fournir le vin ordinaire. De ces temps déjà lointains date le goût pour les « grosses vendanges » ! Lorsque, à la demande générale, le statut des Appellations d'Origine Contrôlée fut accordé au vignoble alsacien en 1945, parmi les conditions de production exigées, on fixa la récolte maximum à l'hectare à 100 hectolitres, tous cépages confondus, pour chaque exploitation ! Du jamais vu ! Pour éviter des « allers et venues » répétées de part et d'autre du Rhin, la mise en bouteille dans la région de production devint obligatoire en 1972. La notion de cru apparaît en 1974 pour être définie et complétée en novembre 1975. Parmi les conditions de production, le rendement pour ces Grands crus est ramené à 70hl, ce qui est encore considérable, mais déjà plus raisonnable que les 100hl des exigences initiales. La notion de « Vendanges Tardives » et « Sélection de Grains Nobles » est également officialisée et les dispositions requises impliquent des rendements très inférieurs aux maximas prévus pour les productions courantes.
Ce chemin vers la qualité, comme toujours en la matière, est suscité par le vignoble et non imposé par décret. Naturellement, certaines Maisons de négoce, propriétaires de vignes, des vignerons, petits et moyens producteurs, se sont toujours attachés à produire des vins de qualité. On peut citer plusieurs coopératives où la direction a su convaincre ses adhérents de produire mieux, étant entendu que les raisins de qualité seraient payés plus chers. Il ne faut toutefois pas rêver, et les statistiques officielles communiquées par le CIVA -Comité Interprofessionnel du Vin d'Alsace pour les uns ou Centre d'Information du Vin d'Alsace pour les autres - font apparaître un rendement moyen de près de 84 hl par hectare, tous cépages confondus.
Si c'est le cas général, ce n'est pas celui particulier de certains vignerons épris de qualité, par exemple celui de la famille Ostertag, basée à Epfig (Bas-Rhin) qui exploite un domaine d'une dizaine de hectares, situé en partie sur Epfig, en partie sur Nothalten, l'ensemble réparti en une cinquantaine de vignes cultivées comme autant de jardins.
André Ostertag a la charge de la cave : vinification, élevage des vins, mise en bouteilles. Il distingue deux types de vin : le vin de « fruit », le vin de « pierre ». Dans le premier cas le cépage l'emporte sur le terroir, dans le second, à l'inverse, tout en conservant la spécificité du cépage, c'est le terroir qui « signera » le vin destiné à une longue garde.
Les vins de fruits représentent la tradition rhénane du cépage. Ils sont à consommer dans la fraîcheur de leur jeunesse pour un plaisir immédiat.
Passionné, André Ostertag diversifie sa production, tente des expériences, comme de refaire du « vin de paille » à partir du Riesling : sur une récolte de 32hl l’hectare, il a distrait une partie des grappes mises à sécher sur fil pour obtenir 180 litres de moût dont la fermentation n'a débuté que début avril… La passion n'a pas de limites, sinon celle du rendement dont l'importance est inversement proportionnelle à la qualité. Cette passion de la qualité n'est pas plus courante qu’exceptionnelle. Elle n'en est pas moins minoritaire, encore que ! comme dirait notre ami à tous Raymond Devos…
En effet, plusieurs caves coopératives et non des moindres, s'avèrent de véritables entreprises pilotes à cet égard, telle celle de Pfaffenheim, créée en 1957, et qui a fusionné en 1968 avec celle de Gueberschwihr, l'ensemble regroupant 200 hectares de vignes et… 200 vignerons !
L'équipement dont s'est doté la Cave permet la sélection des terroirs et le tri des raisins en fonction de leur richesse naturelle en sucre. Michel Kueny, le Maître de Chai rigoureux, tire une certaine fierté des 61 médailles d'or obtenues dans les différents concours qui font de la Cave de Pfaffenheim la plus médaillée d'Alsace. Le Riesling (Médaille d'Or au Concours Général Agricole 1990 pour le 89) occupe une place de choix dans la production.
C'est un cépage extraordinaire nous confirme Michel Kueny. Il s'adapte aux différents sols en donnant des vins d'expressions différentes. Il a l'avantage d'être tardif, risquant moins les gelées printanières, et surtout de poursuivre sa maturité dans des conditions thermiques relativement basses. Paradoxalement, son vin présente des qualités organoleptiques qui surpassent celle des variétés plus précoces. Sa production est d'une grande régularité, ce qui n'est pas le cas par exemple du Gewurztraminer ou du muscat d'Alsace ! Il est bon de disposer d'un grand choix de sols dans les divers cépages et de pouvoir ainsi en tirer le meilleur parti.
Par exemple, sur un sol calcaire à oolithes, on obtient des Riesling floraux, très « fleurs blanches », citronnés, tandis que sur un sol argilo-calcaire nous obtiendrons un vin de plus d'ampleur, de plus de race, qui devra vieillir avant de délivrer ses qualités.
Les connaissances actuelles en géologie, les progrès technologiques, œnologiques sont tels qu'ils favorisent principalement les entreprises d'une certaine dimension, davantage en tout cas que le petit vigneron isolé, cultivant son lopin de vigne et faisant le vin de son mieux certes, mais avec des moyens limités. Il ne saurait avoir les choix, à tous les stades de l'élaboration, offerts à une cave coopérative, une Maison de négoce comme il en existe en Alsace : Dopf, Lorentz, Hugel… propriétaires de vignes et acheteurs de raisin ici ou là, selon leurs besoins, tant en quantité qu'en qualité !
Certes il y a Riesling et Riesling, la difficulté étant que, sous le même nom de cépage, il existe des vins différents. Si l'on désignait notre Beaujolais sous le nom de son cépage Gamay on rencontrerait la même situation absurde… Entre un « Beaujolais » et un « Moulin-à-Vent » il existe une différence que personne ne conteste ! Il en existe une semblable entre un Riesling provenant d'une récolte de 90hl à l’hectare et un Riesling Grand cru de vendange tardive (où la récolte a pu être de moins de 40hl/hectare) ! Le prix de chaque bouteille est une indication éloquente, chacune destinée à un usage particulier selon leur vocation propre. Il est des Riesling pour toutes les circonstances de la vie, comme pour tous les autres vins ! Prendre cet avantage pour un inconvénient n'est pas de bonne critique. Il faudra prendre l'habitude de parler avec précision, dans le respect de l'identité de chacun ! Plutôt que de parler « Riesling » il faut désormais savoir distinguer un Schoenenbourg d'un Furstentum, et ne pas confondre le Riesling Schlossberg de Kaysersberg et Kientzheim avec celui de Katzenthal, du Wineck-Schlossberg ! Mais sans un peu de travail, on n'a pas de plaisir comme disait La Fontaine (Jean, pas Oskar !)