ALSACE, LES SEPT PILIERS DE LA DOUCE IVRESSE
De l'exclamation de Louis XIV découvrant l'Alsace : « Quel Beau Jardin ! », à celle de Brillat-Savarin en 1811 : « C'est l’une des régions d'Europe où j'ai le mieux salivé » et, plus près de nous, du prince des gastronomes Curnonsky : « la table alsacienne est particulièrement soignée et offre, outre un vin noble et délicat, une gamme impressionnante de « mets délicats » … il y a un concert de louanges à l'endroit de cette belle province gourmande.
Un riche terroir agricole, un beau vignoble, les plus belles chasses de France, sur le contrefort des Vosges et dans la plaine, … des rivières poissonneuses, des chefs de grand talent, des femmes alsaciennes cordons-bleus : toutes les conditions sont réunies pour vivre heureux en Alsace.
Cigognes, gilets rouges et grands nœuds noirs, foies gras, bretzels et riesling, images colorées et savoureuses s'imposent dès que l'on prononce le nom d'Alsace.
Séjourner en Alsace est une fête de tous les instants. Les plaisirs de la table n’y sont pas étrangers : parmi tant de produits du terroir, citons les charcuteries, les truites des torrents, les choucroutes, les civets de marcassins, le munster, les tartes…
Et la gamme incomparable des vins portant le nom de leurs cépages, les grands crus, les vendanges tardives et sélection de grains nobles… ajoutent à l'agrément du séjour. Et les eaux-de-vie blanches qu’Alfred de Vigny considérait « comme l'âme ardente du terroir alsacien » !
Particularité du vignoble alsacien : ses vins portent le nom du cépage qui les a fait naître. Ils sont au nombre de sept.
LES SEPT PILIERS DE LA DOUCE IVRESSE
- Sylvaner.
Vin d'une remarquable fraîcheur acidulée, doté d'un fruité discret, fin dans les bonnes expositions, sans prétention mais agréable dans les situations ordinaires. Il accompagne volontiers choucroute, hors-d'œuvre et fruits de mer.
- Pinot blanc ou Klevner.
Vin blanc souple et nerveux, harmonieux et parfaitement équilibré. Compagnon idéal des poissons de rivière et des charcuteries.
- Riesling.
Le cépage alsacien par excellence. Ses atouts résident dans l'harmonie entre son bouquet, son fruit délicat, son corps et son acidité assez prononcée mais extrêmement fine. Il atteint son apogée lorsqu'il provient d'un bon terroir et surtout s'il a été vendangé tardivement. C’est le roi d'Alsace. - Muscat d'Alsace. Deux variétés de Muscat, l'un qui n'est autre que le Muscat de Frontignan, mais sous les cieux et sur les sols alsaciens, et le Muscat Otonel, plus répandu. L'un et l'autre donnent un vin aromatique, excellent à l'apéritif. La production est très faible (3?s vins d'Alsace).
- Tokay Pinot Gris.
Vin capiteux, très corsé, plein de noblesse et fort capable de remplacer un vin rouge sur les viandes. De grande sève, il constitue l’un des meilleurs accompagnements du foie gras d'Alsace.
- Gewürztraminer.
Vin corsé, bien charpenté, en général sec et parfois moelleux, caractérisé par un bouquet merveilleux, plus ou moins puissant, selon les situations et les millésimes, c'est « l'Empereur des vins d'Alsace ». Mariage très heureux avec le fromage de Munster. -
- Pinot noir.
Il y avait du vin rouge jadis en Alsace. Le Pinot noir, qui est le meilleur cépage rouge des régions septentrionales, est depuis une trentaine d'années, l'objet d'une implantation en Alsace. Lorsqu'il s'agit d'un vrai vin rouge, comme c'est de plus en plus le cas et non d'un rosé, ce vin s'harmonise parfaitement avec le gibier.
LES GRANDS CRUS « LIEUX-DITS » SEIGNEURS DU VIGNOBLE
Ce magnifique vignoble alsacien comporte des côteaux célèbres depuis des siècles. Une exposition exceptionnelle, un terroir original, une aptitude à produire des vins d'une grande finesse sont les fondements de leur réputation. Ces particularités ont été reconnues par la législation et, depuis 1983, il existe 25 lieux-dits « Alsace Grands Crus » auxquels se sont ajoutés 23 autres en 1986, lesquels sont en cours de délimitation. Cinq pour cent du vignoble alsacien produit les Grands Crus. Par la diversité des sols, des climats et des cépages, ces Grands Crus offrent une palette rare de vins. Marqués par une grande finesse, leur robustesse est à l'image des côteaux escarpés dont ils sont issus et les prédispose à une aptitude exceptionnelle au vieillissement. En un mot, ils sont les joyaux du vignoble. Selon les terroirs, avec évidemment l'apport qualitatif rajouté par l'exposition, la pluviométrie, l'âge de la vigne, le talent du vigneron, on peut définir qu'un vin provenant de tel ou tel lieu-dit possède une complexité qui est propre à son identité : un fruité plus ou moins prononcé, des arômes plus ou moins accentués, un corps souple élégant et fin, ou racé, vigoureux et bien planté, une faculté au vieillissement plus ou moins prévisible.
Tous ces lieux-dits Grands Crus, reconnus pour produire des vins typés, épouseront fidèlement et régulièrement les exigences et les délices d'un mets défini.
La production de « vendanges tardives » et « sélections de grains nobles » issue de vendange surmurée, connue depuis longtemps en Alsace et dans toute la vallée du Rhin, remise à l'honneur depuis quelques années, a fait l'objet d'une très sévère réglementation. En maintenant à son plus haut niveau la tradition de qualité de ces vins admirables, les producteurs alsaciens ont bien mérité de la gastronomie.
PARADIS DES CHASSEURS
Une bécasse flambée, un faisan ou un perdreau rôti, un cuissot de chevreuil ou de marcassin à la crème, une hure de sanglier au foie gras, un civet de lièvre aux nouilles - cette liste est loin d'être exhaustive - les gibiers, qu'ils soient de poils ou de plumes, se trouvent en parfaite compagnie avec les vins d'Alsace. L'Alsace est éminemment giboyeuse parce que la réglementation diffère radicalement de celle en vigueur dans les autres départements français : elle est conçue pour grouper des territoires, à l'inverse des milliers de petites chasses communales qui conduisent ailleurs à l'extermination du poil comme de la plume.
Perdreaux, faisans souvent encore sauvages, lièvres coureurs, chevreuils, brocards, bécasses abondent ; ils pavoisent sur les éventaires et embellissent les cartes des plus célèbres comme des plus modestes enseignes de la restauration. Les petites nouilles (spätzes), la choucroute, des fruits appropriés accompagnent ces gibiers. Pendant la période autorisée de la chasse, on assiste à un festival permanent : faisans à l'alsacienne, perdreaux aux raisins, gigues Saint-Hubert, civets de lièvre marinés aux nouilles.
L’ASSOCIATION DES METS ET DES VINS, EXERCICE PASSIONNANT MAIS DIFFICILE
Riche de gibier, l'Alsace est aussi une région où la pêche comporte mille ressources : les ruisseaux de montagnes et leurs truites, les rivières encore poissonneuses et leurs brèmes, anguilles, brochets, tanches, sandres, carpes… Pour répondre à ce « festival » de gibiers et poissons alsaciens, point n'est besoin de faire appel aux crus des autres terroirs. Les conseils d'un expert, Claude Groel, sommelier aux « Armes de France » à Ammerschwihr, feront l'affaire. Grande cuisine et grands crus vont de pair, car le vin est là pour des préparations culinaires élaborées. S'il n'existe pas de règles absolues pour marier les mets et les vins, il y a tout de même deux principes constants : moins le niveau du vin est élevé, plus il est facile de l'adapter à des plats et moins un vin est vieux plus cette adaptation est aisée, et vice et versa.
Un vin récolté sur des terrains de graves sera léger et précoce, donc à boire jeune, sur un plat léger. Sur le calcaire on obtient des vins de garde, assez nerveux, aux arômes complexes, il faut les associer à des sauces complexes. Sur les terrains argileux, des vins opulents, longs à se faire, se mariant avec des sauces complexes, telle la hollandaise. Les terrains granitiques donnent des vins floraux, prêts jeunes et néanmoins de garde, avec de très grandes évolutions aromatiques. Ils font le bonheur des sauces à la nage, épicées mais légères.
Sur trois plats du chef Philippe Gaertner, Groel propose les alliances suivantes : un Riesling grand cru 1985 ou 1986, jeune et racé de terroirs marno-calcaires ou argilo-calcaires, du Henest de l'Altenbourg ou Geisberg avec les escalopes de saumon en vinaigrette ; un Tokay grand cru 1983 et 1985 de l'Altenberg de Bergheim, du Kitterlé et de Guebwiller ou du Rangen de Thann, pour le faisan en baeckeofe ; avec la noisette de chevreuil sauce poivrade, un Tokay vendanges tardives mais pas trop moelleux type sec 1981 ou 1983, Altenberg 1981 ou Tokay Altenbourg 1979. C'est encore un Tokay puissant que Michel Orth, de l'Ecrevisse à Brumath, préconise sur le suprême de faisan ; un Pinot noir vieilli en fût de chêne accompagnera sa farandole de filets de gibiers aux fruits forestiers.
Jean Schillinger, du restaurant Schillinger à Colmar, estime que le Tokay Pinot Gris, de par sa charpente et sa puissance, se marie parfaitement avec certains gibiers à plumes : cailles, perdreaux et spécialement faisans qui, sous forme de poitrine fourrée au foie gras ou en jambonnette, réalise le parfait accord avec ce cépage. Pour les gibiers à poils, un Pinot noir de grande tenue. En ce qui concerne les poissons et crustacés, la fraîcheur et l'acidité des vins d'Alsace se marient parfaitement avec tous les produits de la mer : un Sylvaner ou un Pinot blanc avec des coquillages, un Riesling léger avec des poissons pochés, ou plus corsé avec des poissons en sauce, un Tokay Pinot Gris pour les poissons ou crustacés cuisinés de façon plus riche. Schillinger propose une solution originale, extrêmement heureuse, mais méconnue : un jeune Gewürztraminer avec les poissons fumés, les œufs de poissons, les terrines ou les mousses réalisées à l'aide de poissons fumés.
SALIVONS, SALIVONS, IL EN RESTERA BIEN QUELQUE CHOSE
Au Buerehiesel, à Strasbourg, Antoine Westermann propose, sur la terrine de chevreuil au foie gras, un Tokay vendanges tardives, grand cru du Rangen à Thann de 1983, vin puissant, charnu, le type même des grands vins alsaciens; et la matelote de poissons d'eau douce au Riesling en ravioli, avec un Riesling certes, mais un grand du Geisberg de Ribeauvillé, à la fois racé, distingué, fin, élégant, sec et bien charpenté, avec une persistance en bouche très longue, un vrai Riesling de 5 ou 6 ans où le bouquet s'exprime pleinement. La salade de cailles et d'asperges s’harmonisera parfaitement avec un Muscat sec et bouqueté, jeune et vif.
A l'Auberge du Cerf à Marlenheim, le sommelier Daniel Kaminski considère que le Riesling est roi sur tous les poissons, tels sandre, brochet, truite au bleu, matelote. Le Tokay Pinot Gris, avec le foie gras de canard certes, mais aussi et parfaitement avec le saumon et la caille. Sur des plats un peu épicés comme le homard à l'américaine ou les langoustines au curry, le Gewürztraminer dont on sait qu'il est le compagnon de prédilection du fromage de Munster. Pour les gibiers tel le chevreuil, le Pinot Noir.
Au Crocodile à Strasbourg, Emile Yung et son sommelier Gilbert Mestrallet sont fervents des grands crus. Avec la salade de langouste, Un Tokay Pinot Gris Mönchsberg grand cru 1984 ; avec les écrevisses à la gelée d'estragon un Riesling Kitterlé grand cru 1983 ; un Riesling Schoenenbourg grand cru 1985 en harmonie avec le sandre ; le gratin de langouste estragonné avec un Riesling Altenberg de Bergheim grand cru, vendanges tardives. Homard aux primeurs et Riesling Castelberg grand cru 1983 ; noisettes de jeune sanglier à la Diane avec du Pinot Noir Furstentum 1983. Et que Dieu vous bénisse !
Mischler, de l'Auberge du Cheval Blanc à Lembach, résume l'harmonie de ces divers mariages : écrevisses et crevettes avec Sylvaner frais et élégant ou Pinot Blanc de vieilles vignes. Langouste et homard : Riesling grand cru, grand millésime ou petit Pinot Gris élégant ; un jeune Riesling de très agréable fraîcheur avec sandre, brochet, anguille, ou bien Riesling vendanges tardives pour le poisson en sauce, et un Tokay charnu des terroirs du Sud de l'Alsace pour marcassin et chevreuil qui suivent immanquablement dans ces lieux de grandes bombances.
Les Haeberlin, inamovibles trois étoiles du Michelin à l'Auberge de l’Ill à Illhaeusern, avec les poissons (sole, rouget ou bar) à sauce très légère non épicée, apprécient le Riesling « Schlossberg » grand cru 1983, vin très équilibré avec richesse de parfums floraux. Serge Dubs, premier sommelier de France, qui veille sur la carte de l'Auberge depuis des années, propose les alliances les plus subtiles pour accompagner la cuisine de Paul et Marc Haeberlin sur les gibiers tels que noisette de chevreuil Saint-Hubert, cuissot de marcassin au poivre vert, civet de lièvre, côtelettes de perdreaux Romanoff… et sur les poissons, des célèbres zéphyrs de sandres au Riesling en passant par la matelote d'anguille au Pinot Noir (ici, pas d'hésitation !), la matelote d'anguille d’Illhaeusern au Riesling (là non plus, pas d'hésitation !), au blanc de turbotin à la julienne de légumes… les vins d'Alsace, Grands Crus classés lieux-dits, vendanges tardives, sélection de grains nobles, sans oublier les sept cépages, s'harmonisent on ne peut mieux. Toutes les suggestions des chefs et sommeliers de cette belle province nous le prouvent à l'envie. Le fait que le vin est souvent cité dans les recettes de l'Alsace gourmande facilite grandement le gourmet en quête de vin adéquat.
EAUX-DE-VIE DE FRUITS D’ALSACE ET DE LORRAINE, SOURCES DE BIEN-ÊTRE
Ne les oublions pas, ces eaux-de-vie de fruits kirsch, mirabelle, framboise, poire produites en Alsace et en Lorraine, elles sont parmi les plus nobles produites en France à côté des cognacs et armagnacs. Distillées suivant les traditions artisanales et familiales, ces eaux-de-vie sont fort nombreuses. On en compte jusqu'à 22. Alsace, Vosges et Lorraine qui en sont les producteurs par excellence, produisent aussi des alcools de gentiane, des baies de houx, de prunelle, de sureau, d’alizier, de sorbier des montagnes, de fruits d'églantines, de myrtille des bois, de mûres. Les profondes vallées des Vosges, les clairières et sous-bois, abritent une végétation abondante où se récoltent en quantités insoupçonnées tous ces fruits sauvages.
Le marc de Gewürztraminer, uniquement alsacien celui-là, qui a conquis ses lettres de noblesse plus récemment, s'ajoute à la gamme de toutes ces eaux-de-vie de fruits. Le kirsch se fait dans les vallées avec une petite cerise noire, et il sent parfaitement la cerise. La quetsche n'est pas de l’eau-de-vie de prune, mais le produit de la distillation du fruit qui porte ce nom, quetsche fruit long à chair jaune.
Les eaux-de-vie d'Alsace que les Alsaciens appellent « schnaps », ce qui signifie eaux-de-vie, dans leur admirable diversité, sont source de joie délicate. Consommons-les avec modération, comme conseillé, mais ne les oublions pas dans un repas bien ordonnancé Elles le méritent. Le grand-père de notre femme, mort à 85 ans, prenait chaque matin un petit pain tiède, un « wec », accompagné d'un petit verre de kirsch.
A l'heure actuelle, c'est la poire Williams qui est la plus consommée (40% du marché), suivie du kirch (20%), puis de la mirabelle (12%) et de la framboise (11%). Les 13% restants concernent toutes les autres eaux-de-vie.
LA MIRABELLE DE LORRAINE
En Meurthe-et-Moselle, sur dix arbres fruitiers, sept sont des mirabelliers. Ce serait le bon roi René d'Anjou, duc de Lorraine et troubadour délicat, qui l'aurait apporté de ses vergers de Provence. Quoiqu'il en soit, il s'est fixé en sol lorrain et s'est adapté à son rude climat pour produire des fruits d’une fine saveur.
Cet excellent fruit a acquis ses lettres de noblesse et son eau-de-vie la « Mirabelle de Lorraine », appellation d'origine contrôlée, est la seule A.O.C. avec le calvados de la pomme, qui soit légalisée en France pour une eau-de-vie de fruits.
Distillée selon les méthodes anciennes, c'est-à-dire à feu nu, sous bain-marie et en deux passes, comme le sont les cognacs et les meilleurs calvados, c'est une eau-de-vie exceptionnelle qui réchauffe le cœur des gens transis de froids hivernaux.