PASSION DES VINS

LES CHAMPAGNES SE METTENT A TABLE...

LES CHAMPAGNES SE METTENT A TABLE...

On trouve toujours une anecdote vraie à un moment quelconque de l'Histoire gourmande sur les bienfaits du Champagne. La consommation du Champagne, bienfaisante tant au physique qu’au moral, seul ou en accompagnement de mets splendides et adéquats, appartient au meilleur de l'Art de vivre.
Prenons l'histoire significative de l'abbé de Chaulieu, poète favori du duc de Vendôme. Elle est croustillante et riche d'enseignements, comme nous la présente l'écrivain Pierre Andrieu :

Malade de trop bien manger et boire, la goutte le torturant de temps en temps, cela bien avant que le vin effervescent de Champagne ne soit connu, ce brave et sympathique abbé menait une existence misérable. Il était condamné par la Faculté à ne boire que de l'eau rougie de vin, lorsqu'un jour un de ses amis lui annonce l'entrée en scène d'un nouveau vin. Mais d'un vin qui, déjà, a fait ses preuves à la fois d'intelligence et de génie.

L’abbé Chaulieu n'eut aucune peine à être convaincu que ce nouveau pétillant portait en son sein quelques vertus bienfaisantes. L’ayant dégusté, l'abbé ferma sa porte à son médecin et, abandonnant ses prescriptions, chanta joyeusement :

« J'oubliais déjà ce fruit délicieux,
Quand un enfant vint s'offrir à mes yeux,
Qui, dans Aÿ, ne faisait que de naître,
Qu'il était beau ! qu'il était gracieux !
A peine le vis-je paraître
Que soudain de ma bouche il passa dans mon cœur ».

Ainsi dit l'abbé poète, qui resta fidèle au Champagne… jusqu'à l'âge de 84 ans, mettant à juste titre cette longévité sur le compte de la mousse. L'abbé avait retrouvé la forme, celle qui lui permit de bien se comporter à table. A tel point qu'il fut très souvent invité à de grands festins pour son appétit, son esprit et ses charmants poèmes. Il constata que le gibier passait mieux, surtout en sauce, et qu'il digérait sans problème fruits, légumes et poissons pêchés alentours, de Champagne seulement ! La Faculté se garda bien d'expliquer ce miracle, pensant que l’abbé trépasserait dans la force de l'âge. Elle se trompa. L'abbé se rendait à toutes les tables qui lui étaient ouvertes. Il répondit à l’invitation de la maison Sonning à Neuilly le 20 juillet 1707 par ce petit mot poétique :

« Alors grand merveille sera
De voir flûter vin de Champagne »

Mais l’abbé n'en resta pas là ! Jean-Baptiste Rousseau, dans la foulée, l'invita à venir dans son hôtel de Neuilly et, après bonne chère en plusieurs lieux, il regagna son presbytère champenois frais et dispo comme un jeune gaillard, assuré d'avoir accompli une nouvelle mission de Dieu au nom du Champagne. Celle de faire connaître ce don du Ciel.

En ce temps de prime jeunesse, le Champagne semait le plaisir et l'amour. Aussi bien apprécié avant un dîner qu'après, surtout quand de bons crus ont figuré à table, les convives étaient en bonne disposition, l'œil scintillant, la langue déliée. Les initiés aimaient rendre honneur à son créateur. Sentiment noble, la reconnaissance s’allumait dans leurs cœurs. Ainsi buvaient-ils à l'homme de génie, au bienfaiteur de l'Humanité qui, par des procédés inspirés des dieux, a fait du Champagne ce nectar mousseux propre à éclore dans les têtes toutes les chansons du bonheur... Ils buvaient à Dom Pérignon.

De banquets en banquets, le Champagne réconforte, soutient, allège et demeure le meilleur atout de la santé morale et physique. Et de fait, on se mit très vite à arroser de Champagne les plus excellents mets. A commencer par les dons de la terre : les poissons des rivières champenoises, mais aussi ceux des mers et le noble gibier de la région. La chasse et la pêche entraient en force dans la gibecière de la noblesse du Champagne.

Gibiers et poissons appartenaient à cette terre de forêts défrichées et de rivières serpentines ouvertes sur un ciel bleu, entre deux tronçons de verdure ou de rochers. En ces temps reculés, mais pas si vieux que cela, où la vigne gagnait les côteaux et l'homme domestiquait les raisins en cuvées pour les assemblages prescrits par Dom Pérignon, on savait savourer déjà le Champagne avec les richesses naturelles locales.

Bécasses, cailles, perdreaux, faisans, grives et merles, canards sauvages, lapins de garenne, lièvres, chevreuils, cerfs, sangliers ou marcassins, que d'arômes naissaient dans les casseroles avec l'aide de préparations originales ou traditionnelles pour se déguster, au moment de la disnée ou du souper, avec les vins pétillants de Champagne qui ne savaient se donner de mots précis pour se définir brut, sec, demi-sec… ils étaient variés tout autant que le nombre des vignerons qui les enfantaient et ils changeaient de personnalité selon la fine main qui concevait leurs bulles émoustillantes. Les gibiers se consommaient de mille façons différentes. En pâtés, en salmis, en terrine, en sauce, en croûte, en rôtis, farcis… si bien qu'on les appréciait chauds ou froids, en entrée, en entremet, en plat principal…

Et les poissons ? L’alose, la brème, le brochet, la carpe, l'écrevisse (qui n'est pas un poisson mais se pêche dans les rivières) la perche, le sandre, la truite mais aussi le saumon et l'anguille, sans compter d'autres poissons venus de la mer, garnissaient les tables d'autres parfums et d'autres goûts. Le Champagne accompagnait ces excellences et, dans les maisons bourgeoises, on ne savait connaître et vivre meilleur bonheur que cette harmonie unissant poissons et Champagne, Champagne et gibiers…

A nobles mets, noble vin, disaient les Anciens, on ne s'y trompait pas en attachant ces crus de charme et de séduction à la chasse et à la pêche. L'élaboration de cuvées propres à satisfaire ces principales demandes constitua un événement. Ainsi apparurent les bruts, les demi-secs, les demi-doux, les doux… millésimés ou non, qui réconcilièrent divers caractères de gourmets n'approchant pas la gourmandise sur les mêmes bases. Gibiers et poissons demeuraient leurs plats de prédilection.

Ainsi prenait-on plaisir à boire le Champagne autant à l'apéritif, le matin ou le soir, en accompagnement des repas et après les desserts, sans compter à tous autres moments lorsqu'on désirait fêter le moindre évènement. Le Champagne était de la fête. Il était lui-même la fête.

LES CHAMPAGNES SE METTENT A TABLE

La déesse de la forêt champenoise « Arduinea » apprit aux habitués de ces lieux à accommoder les gibiers et poissons, très tôt, depuis l'installation des premiers pressoirs en Champagne, lorsqu'on n’élaborait que des vins nature de la Champagne. Quand les bulles apparurent dans les bouteilles, elle ne tarda pas à être un peu plus gourmande en même temps qu'elle inventa la fête pour dérider et amuser les divinités mémorables.

Ainsi naquirent des créations culinaires. La gastronomie champenoise est savoureuse parce que les produits de base locaux employés sont de première qualité, qu'il s'agisse du Champagne, des poissons de rivière, du gibier, de la charcuterie… c'est par exemple à Bussy-les-Mottes et à Cheppe (sur les vestiges du camp d'Attila) qu'il faut déguster la truite au bleu de la Noblette. A Pontfaverger… la lotte… cette lotte pour laquelle - dit-on - les femmes de Pontfaverger vendraient leur cotte… les perches de Menon dont la recette fut reprise du recueil ancien « les soupers de la Cour » … l'entrée de perdreaux en melon… l’estouffade de perdrix au champagne… les faisans aux huîtres… le saumon en surprise… les faisans en gondole ou en daube… le lapin ou le lièvre à la champenoise… on pourrait en citer des centaines, aussi succulentes les unes que les autres. Le goût vient en pensant…

On ne saurait oublier ce pâté d'Oye ou de « Gaudas » comme on l'appelle, un pâté de fantaisie mais appartenant à la tradition champenoise. Quel délice, Clovis et son entourage le savourèrent lors de son sacre à Reims, dit-on et, depuis, la tradition a béni cette recette en lui attribuant une paternité champenoise. Il s'agit - je vais tout de même vous donner son secret - d'un impressionnant échafaudage d’oie marinée et de marcassin, qui fleurent bon l'échalote et l'eau-de-vie. Le tout emprisonné dans un sarcophage de croûte tout imprégné de sauce bouillante s’il est servi chaud, ou de gelée non moins fameuse s’il est servi froid.

Comment ne pas imaginer un Rosé, un Champagne rosé de belle facture, engoncé dans un corset puissant, d'arômes très fruités et de venaison, rôti,  arômes animaux en dominante… bref, un vin masculin mais élégant, où la dominante Pinot noir ne pourra être contestée pour marier ainsi pareils mets ? Passez donc à table, testez quelques gouttes de ce brut bien musclé mais dans un corps de belle allure, cet Adonis de Champagne marqué d'un léger passage au fût. Il épousera en bouche les faisans aux huîtres chaudes avant de vous préparer aux autres émotions. Ainsi, les lèvres humidifiées de tels plaisirs aux perles roses, garderont de ce Champagne l'image d'un prince galant.  Pour un déjeuner léger, s'adonner au plaisir du Champagne blanc de blancs, léger, crémeux, tendre et nerveux. Plein de ces parfums de noisette, de fleurs de châtaignier au printemps, de chèvrefeuille…

Vous restez sur le Champagne ? Alors choisissez ces perches de Ménon qui ne sont pas bien dénuées d'arômes fins et de saveurs délicates, tout aussi tendres et subtiles que celles du vin servi.

De prime abord, ce poisson n'a rien d'engageant. Trapu, bossu, aux nageoires épineuses, cela n'a pas empêché le poète Ausone d'écrire : « perches, délices de nos tables, qui êtes seules capables de le disputer aux surmulets pourprés… » Malheureusement cet aquitain ne connaissait pas le Champagne. Il en est de même pour les gibiers chassés dans la forêt champenoise, giboyeuse à souhait. Certaines préparations appelleront plus volontiers le brut non millésimé, à moins que quelques amateurs raffinés ou snobs ne crient au scandale. Répondez-leur par un brut millésimé pour les faire taire, les mettre de votre côté. Ils ne crieront plus et s’émerveilleront au début puis, peu à peu, oublieront de vous avoir importuné. Grand sera leur régal.

LA MISSION DU CHAMPAGNE

Maintenant, passez un long moment avec un des grands noms de Champagne, un de ceux qui assurent l'héritage dynastique (ou commerciale) d'une grande marque réputée. Insistez gentiment après avoir lancé l'appât. Formulez votre insistance de trois ou quatre façons différentes, en suggérant que le faisan ou le marcassin chassé quelques jours auparavant gagnerait en intelligence de goût, marié à un vieux Champagne non dégorgé, en Magnum par exemple. Remerciez votre hôte de l'attention avec laquelle il a su satisfaire vos souhaits, puis dégustez religieusement. Fermez les yeux, laissez-vous emporter par la griserie de ces bulles enfermées depuis que la Madelon, encore enfant, rêvait de cette terre de Champagne pour abreuver ses soldats défenseurs de la France et de ce sol. Combien de fois le Champagne a-t-il songé à accompagner ces faisans et ces marcassins rôtis ou en sauce, pendant qu'il mûrissait dans ses caves murées ?

La force de la sève d'un brut récent ou la puissance du tempérament d'un Magnum récemment dégorgé, robe d'or et saveur élégante, adulte, séduisante, émoustillant les esprits… le mariage du gibier et de l'un de ces Champagne, d’une harmonie rare et exclusive vous comblera.

Le Champagne possède ses amateurs à l'apéritif, et d'autres fermement décidés à ne l'apprécier qu’au dessert.
Plus une multitude d'amoureux et de passionnés dont je suis, qui lui reconnaissent la vertu d'être générateur de plaisir et de bonheur, de l'apéritif au dessert.

Dégusté le long d'un repas fait de subtilités aromatiques, on dira « A chaque plat un Champagne adéquat, et à chacun d'eux le mets qui a été élaboré à son intention ». Une recherche continue pour rapprocher l'assiette du verre.        Les grandes marques de Champagne, au-delà de leur brut symbole de la Fête, ont depuis toujours élaboré des cuvées aptes aux gibiers les plus puissants, aux poissons et crustacés et les plus giboyeux et qui concilient la légèreté des bulles avec la vinosité indispensable au gibier. Dont acte.