PASSION DES VINS

Côtes-du-Rhône, côte-rôtie et compagnies...

Côtes-du-Rhône, côte-rôtie et compagnies...

Parmi les crus célèbres des Côtes-du-Rhône, nous en avons retenu six, des plus réputés et typés, pour nous permettre d'aborder leur affinité avec les gibiers et les poissons. Ce qui ne diminue en rien les autres, que nous vous compterons au fil de notre Passion des Vins de France.

Gigondas, Châteauneuf-du-Pape, Condrieu, Cornas, Côte-Rôtie et Hermitage ont une histoire qui commence avec les Grecs, les Romains et surtout les Gallo-Romains. Cette sublime vallée du Rhône, riche en vestiges historiques, est aussi couverte d'une houppelande de vignobles, posée sur ses côteaux ensoleillés. Déjà la Gaule pouvait se vanter de posséder les plus belles cités viticoles : Vienne, Valence, Orange, Avignon… Tain, Tournon et les innombrables villages semés de part et d'autre du fleuve. Cités historiques certes, mais surtout berceau d'une viticulture presque méridionale, aux accents très aromatiques, à l'image d'une Provence qui jouxte la contrée rhodanienne par le département actuel du Vaucluse, et berceau d'un commerce fructueux qui occupe et fait bien vivre une masse de corporations  et d'ouvriers.

Les pays vinicoles, c'est reconnu, donnent des civilisations cultivées, sensuelles et gourmandes. Il fut un temps où les vinifications demeuraient inexplicables : on faisait du vin au petit bonheur la chance, selon l'expérience des générations précédentes de vignerons. Les propriétaires abondaient : posséder des vignobles et produire des vins leur permettait de se positionner à un haut rang de la classe sociale à laquelle on appartenait. Surtout si les vins atteignaient une qualité appréciée de la Cour et des Grands.

La réputation consacrait les propriétaires et leur ouvrait grande la porte des privilèges dans le royaume ou à l'étranger.                                       

Si l’on a aimé de tout temps boire et bien manger dans les contrées viticoles - tout en préservant sa santé, car il est connu que les régions productrices comptaient le mois d'alcooliques - c'est qu'on a bien su harmoniser l'art culinaire avec les vins de la région productrice. En fait, nous n'avons rien découvert en la matière puisque nos ancêtres se prêtaient déjà à ce jeu de table.                                                                                               

Les Romains, et surtout les Gaulois, adoraient pêcher dans le Rhône, ses affluents et les rivières voisines, de superbes poissons consommés dans leur fraîcheur, et chassaient le gibier à poil et à plume dans les immenses forêts et les garrigues (ou clairière) avoisinantes, nombreuses et giboyeuses.

Gros mangeurs, leur nourriture de base était constituée d'autant de chairs que les terres et les eaux en recelaient. Et quels repas ! Pantagruéliques, bien entendu, avec des quartiers de gros gibiers, des cuisses aussi grosses que croustillantes et bien dorées, des dizaines de faisans, perdrix, bécasses… lapins ou lièvres, et des poissons alignés la gueule ouverte, ceci à chaque festin presque quotidien chez les notables qui leur ont succédé. Le gibier et le poisson abondaient en ce temps-là. On mangeait en dévorant mais on buvait tout aussi bien. A bon mangeur, bon buveur. Il faut bien faire passer toutes ces viandes sous des flots de liquides.

Les années 1870-1880 ont marqué la fin de ce temps vorace et préparé, en quelque sorte, l'avenir des vins de France, notamment celui des Côtes-du-Rhône. Aujourd'hui, cent ans après, nous sortons à peine de cet art de vivre en ogre. Les Côtes-du-Rhône ont suivi. Entre le phylloxéra de 1865, la révolte des vignerons du Midi de 1907, les progrès du nouveau siècle qui s'annonçaient, le trafic indigne des vins juste après le phylloxéra, la création des appellations d'origine et la lente mutation au niveau des propriétés viticoles (freinées faute de trésorerie) les vignerons n'ont jamais cru au bien-fondé du progrès sur les méthodes traditionnelles. La machine est toujours apparue comme une ennemie, épiée du coin de l'œil et de l'esprit. Cette période est également révélatrice d'une évolution gastronomique. On ne saurait séparer les vins de ces terroirs, de la cuisine régionale. Une cuisine restée longtemps bourgeoise sinon familiale. Une cuisine de tradition à base de produits locaux du terroir, aux parfums et saveurs aromatiques et diversifiés.

La situation de cette vallée présentait deux aspects. D'abord un lieu de passage florissant avec ses voyageurs, charretiers, transporteurs de tous poils, bateliers, courtiers, négociants… qui savaient savourer cette cuisine authentique. Ensuite, une ouverture directe sur la Méditerranée qui offrait le privilège d'amener jusque dans les cités rhodaniennes des recettes d'ailleurs vite modifiées par le goût de la région.

Alors que dans le dernier tiers du XIXème siècle, le chemin de fer enchantait toute une population en raison des services qu'il apportait, la fumée noirâtre et âcre des locomotives répugnait aux agriculteurs et aux éleveurs. Ils pensaient que cette fumée pouvait avoir des conséquences néfastes sur leurs récoltes ou sur les animaux… le premier syndrome de la pollution renforcé par le terrible phylloxéra.                                             

Tout se ternissait, tout se rétrécissait. Rivières, forêts et garrigues voyaient leur faune se raréfier. Les vignerons ne pouvaient imaginer pareil fléau qui touchait leur mode de vie, leur économie, et les saignait à blanc. Les ressources naturelles s'amenuisèrent peu à peu. Les chasseurs comme les pêcheurs exterminaient tout, sans respecter l'équilibre de la nature. Ce n'était pas la famine, mais en cette période précise cela y ressemblait beaucoup.

L'époque transitoire dura quelques années. Lorsque les plants greffés offrirent un second et définitif espoir aux vignerons, il fallut attendre une bonne douzaine d'années pour retrouver l'animation des cités viticoles des Côtes-du-Rhône. 

Les vignerons affrontèrent ce nouveau siècle, le XXème, avec pugnacité et mordant. La vie sociale des campagnes, basée sur le patriarcat, avait peu évolué. Le vin abondait à nouveau, le commerce prospérait de Vienne à Avignon. Hôtels et restaurants récupéraient une clientèle florissante, fidèle, nombreuse. Les poissons de rivière comme les gibiers des garrigues et forêts proches avaient eu le temps de se reproduire.

Les Côtes-du-Rhône retrouvaient un visage épanoui à travers leurs robes pourpres, roses ou dorées, en tentant de faire oublier la triste période phylloxérique. La révolte des vignerons du Midi avait légèrement ébranlé les Côtes-du-Rhône méridionales mais, dans l'ensemble, elles subirent moins les problèmes sociaux et politiques du grand midi viticole.

Les Côtes-du-Rhône sont deux régions bien distinctes : les Côtes-du-Rhône septentrionales (les plus au nord) et les Côtes-du-Rhône méridionales (au sud) situées dans une même et vaste région dont l'épine dorsale est constituée par le Rhône sur environ 250 km. Les vins sont de typicités fort différentes : Côte-Rôtie, Condrieu, Cornas et Hermitage pour les Côtes-du-Rhône septentrionales, Gigondas et Châteauneuf-du-Pape dans les Côtes-du-Rhône méridionales.

CÔTE-ROTIE

Ce vignoble situé face à Vienne est, dit-on, le plus ancien cru des Côtes-du-Rhône. La Côte-Rôtie est partagée par deux vallonnements en Côte brune et Côte blonde, dont les sols sont des micaschistes chloriteux et ferrugineux, de granit, mélangés avec des cailloutis venus des hauts-plateaux, un terroir de vin de qualité.

Le relief est façonné en côteaux abrupts. Les pentes y sont inhumaines et les paysans remontent tous les ans la terre portée par les eaux du ruissellement au bas des pentes, notamment celles des orages de printemps et d'été, violents et soudains. Aussi les hommes ont-ils créé des terrasses pour lutter contre cette érosion permanente et faciliter le travail de la vigne. Terrasses soutenues par des murs de pierres sèches de 50 cm à 2 mètres de haut.

Le vignoble de la Côte-Rôtie date du IIème siècle avant notre ère. Nous le devons aux Romains qui occupaient la région de 80 à 100 ans avant les campagnes de Jules César dans les Gaules. Si les Gallo-romains, gouverneurs, consuls et officiers des troupes satisfaisaient leur goût des monuments, d'un esthétisme parfait, qu'ils construisaient sur notre territoire, ils n'en aimaient pas moins les festins somptueux arrosés de bons vins, récoltés sur place. La cuisine, simple à l'époque mais dans un défi permanent d'amélioration grâce à Apicius entre autres, présentait une belle architecture de poissons grillés et de gibiers rôtis, à la broche, empalés sur des nids épais de braises ardentes. Les tables croulaient déjà sous des portions pantagruéliques savourées à pleines dents avec les doigts.

Les calices de métal, pris avec des mains lipeuses, étaient emplis de vins de Vienne succulents, récoltés sur ces deux vallonnements de la Côte-Rôtie que des savants poètes, Pline l'Ancien, Columelle, Martial ne cessaient de célébrer sous le nom de la ville qui leur offrait l'hospitalité, Vienne, face aux vignobles de l'autre bord du Rhône.

Aujourd'hui la Syrah, et le Viognier pour une petite part, qui sont les cépages traditionnels de la Côte-Rôtie, offrent des vins somptueux. La Côte brune donne des vins plus corsés que ceux de la Côte blonde marqués, eux, par plus de finesse. Ce sont des vins rouges à la robe grenat profond, veloutés avec des arômes fruits rouges dans lesquels la framboise domine, avec des nuances d'épices, de cerise à l'eau-de-vie, de vanillé, une touche de violette, plus ou moins accentuée selon l'âge du vin, sur fond animal (cuir, venaison…). De ces vins sensuels, quand on les hume longuement, quand on les goûte, naissent des idées de cuisine giboyeuse… La montagne, au-delà de la Côte-Rôtie, recèle une faune sauvage fort séduisante, gavée de tous les arômes locaux d'essences variées : baies sauvages, garrigues, arbustes et arbres, fleurs, feuilles et racines… Même les eaux cristallines des rivières s'imprègnent de ces parfums environnants.

Les cuisiniers du cru utilisent des recettes originales, qui allieront à ces chairs de gibiers et de poissons naturellement parfumées, du thym, de la sauge, du romarin, du basilic, de l'hysope, du fenouil… et les vins de la Côte Rôtie, afin qu’assiette et verre s'aiment d'amour tendre. Le gourmet cherchera à discerner, selon le vin choisi, la recette qui gratifiera le plus ce lapin de garenne, ce sanglier, cette ablette ou bien ces cailles d'après vendanges. Le rôti, le gibier en sauce, en terrine ou farci… seront mis en valeur par ces Côte- Rôtie choisies en déclinant sur leurs millésimes. On peut toujours marier un vin rouge, si grand soit-il, avec un poisson de rivière voire de mer, si la sauce s'y prête. Mais ce serait une injustice, un crime de lèse-tradition ou de lèse-goût si l’on servait une Côte-Rôtie dans le cas d'un poisson dont l’époux ne peut être qu'un bon vin blanc comme le Condrieu, l’égal des plus grands de Bourgogne.

CONDRIEU, BLANC DES CHAIRS BLANCHES

Au sud de la Côte-Rôtie, à une bonne dizaine de kilomètres, sur la même rive, Condrieu, perle du vignoble rhodanien, produit des vins blancs exclusivement. Le Viognier et son unique cépage. Cépage ancien puisqu'on le fait remonter à l'antiquité, terroir de collines assez pentues sur lesquelles des terrasses ont permis de cultiver la vigne. Ce minuscule vignoble constitue le carrefour de trois départements : la Loire, le Rhône et l'Ardèche.

Petit territoire qui connut un intense trafic, notamment avec les mariniers recrutés à Condrieu. Ils naviguaient entre Royaume et Empire, le Rhône servant de frontière (ceci à l'époque de Charlemagne). Les mariniers traversèrent plusieurs siècles et les traditions voulaient qu'on passât la main de père en fils.

Les tonneliers, également, prirent une large part à l'animation de la cité. Ils fabriquaient les tonneaux de jauge très utilisés sur toute la longueur du Rhône dans cette vaste région qui s'étendait, en matière de vins, de Vienne à Avignon.                                                                                             

La superficie de Condrieu s'étend sur moins de 20 hectares. Environ 17 hectares actuellement, pour une production d'à peu près 400 à 450 hectolitres annuellement. Les vins de cette appellation conservent un état d'esprit bien particulier. L'image qu'ils imposent est celle d'un vin blanc rare, qui se découvre et s'apprécie comme un coup de foudre. Il ne doit pas être mis dans toutes les bouches. Blanc assez corsé, robe d'un jaune doré soutenu, il est gras, riche en matière que la langue a tendance à retenir pour bien la mâcher. Une certaine fraîcheur avive l'attention. On apprécie cette nervosité souple, cette onctuosité du début. C'est un vin aromatique avec des subtilités d'odeurs inimaginables. On commence à relever toute une gamme florale qui se poursuit dans une note de fruits plutôt secs (abricot, figue…) et revient dans des parfums de pétales de rose fanée, de violette et d'aubépine. Des nuances passent, en désordre. On relève des notes fines de miel puis de fumé ou de grillé avec des complicités animales, un peu automnales quand on déguste de vieux millésimes. En matière culinaire, nous sommes en présence d'un vin complexe, riche, complet, capable de satisfaire une palette large de recettes, tant traditionnelles que modernes. Pour cette qualité viticole hors du commun, rien ne nous interdit d'élargir la gamme de mets à la viande et au gibier, le Condrieu possède suffisamment de matière et de puissance pour cette sorte d'harmonie. Tout dépend de la préparation, des ingrédients et de la cuisson. Les chairs les plus aptes à convaincre le Condrieu doivent se présenter sous deux aspects. Soit des viandes tendres et blanches en sauce légère, crémeuse, blonde de préférence, avec une pointe de douceur (vanillée ou fruitée…), soit des viandes rôties, à condition que leur chair reste onctueuse, délicate, sous la croûte cuite. Ne pas avoir du rôti sec à l'intérieur de la chair, sous la croûte. Bien plus édifiantes, les recettes de poisson avec lesquelles vous jouerez d'un orgue merveilleux, celui des arômes. L'éventail large des aromates peut vous amener à jongler avec une sauce à base de coulis d'abricot ou de miel, dans laquelle vibreront aussi des notes de rose, de violette, de thym, de grillé… pour mieux conquérir votre plaisir.

CORNAS, FAVORI DE CHARLEMAGNE

Nous approchons un peu plus du midi méditerranéen. Face à Valence, le vignoble de Cornas date lui aussi de l'époque gallo-romaine. Une série de ruines, de vestiges glorieux nous rafraîchissent la mémoire, nous rappellent que l'histoire, ici, fut plutôt turbulente.

La vigne a subi, elle aussi, des hauts et des bas en fonction des événements. Elle s'accroche sur des côteaux plus ou moins pentus, faits d'un sol composé de débris de roches primaires et de cailloutis sur carènes granitiques. Une petite soixantaine d'hectares seulement représentent cette appellation (54 ou 55 hectares exactement) pour une production d'environ 2.000 hectolitres.

Cette appellation est issue exclusivement de la Syrah. Charlemagne, Louis XIV et bien d'autres, en aimant le vin de Cornas, révélaient du même coup le secret de leur personnalité. C'était des hommes avec un penchant naturel et cultivé pour l'art en général, une sensualité évidente et une passion pour le bien manger. Voilà les caractéristiques des amoureux du Cornas.

Le vin de Cornas, qu'on qualifiait souvent de « très bon vin noir » grâce à sa robe foncée, présente aujourd'hui une structure virile, élégante et distinguée qui ne cache point une charpente droite et robuste. Une riche matière donne à ce vin un aspect plutôt rustique et ingrat dans sa jeunesse. Pendant deux à trois ans, il boude et répète qu'il est dur, peu bavard, fermé sur lui-même. Puis, peu à peu, dans sa troisième année, il commence à se civiliser et à prendre un autre aspect. Celui d'un vin aromatique aux accents de fruits rouges mûrs, de violette, de tripes et de viscères, d'épices, de sous-bois… Ses tannins apprendront alors à faire chanter les meilleures recettes de gibier. Sa période, c'est évidemment de novembre à février pour être apprécié dans son potentiel le plus favorable. L'atmosphère ambiante, le cadre, l'environnement… cela mérite d'être prémédité pour demeurer à la hauteur de ce grand vin.

La cuisine ne peut faire attendre ce seigneur de l'Ardèche. Face à une puissance aromatique, alcoolique et tannique, on choisira des recettes de poids. Le cépage du Cornas, la Syrah, étant d'une grande noblesse, il ne doit, de ce fait, avoir que des sublimes partenaires.

Une perdrix au chou ne me déplairait pas avec un Cornas de trois ans d’âge. La chair de la perdrix se détendra dans la cocotte et s’aromatisera quand on ajoutera les branches de thym, puis les feuilles de laurier, les oignons coupés, l'ail non épluché, du genièvre et de la réglisse. Le lard fumé et le lard de poitrine apporteront cette touche parfumée qui se retrouve dans le Cornas, sans omettre la rondeur qu’il transmettra à la sauce. Sucs et parfums s’harmoniseront avec ce jeune Cornas. A moins que vous ne soyez tenté par les noisettes de marcassin grillées et nappées d'une sauce vigneronne.

L’HERMITAGE ROUGE D’ALEXANDRE DUMAS

L'histoire des vins de l'Hermitage, sur la rive gauche du Rhône, débute par la construction d'une chapelle (la chapelle Saint-Christophe) bâtie sur le point culminant de la colline, dans un ancien temple païen converti en église. Autour de cette chapelle, on construisit quelques habitations d'un style monacal pour ceux qui désiraient se consacrer à la vie contemplative le reste de leurs jours et vivre sur cette colline. Nous étions au XIIIème siècle.

Ils furent quelques chevaliers à s'établir en ce lieu. Ils défrichèrent les côteaux alentours pour planter la vigne, moyennant une rente aux moines de Saint- André-le-Bas. Ce lieu devint un ermitage.
La ville de Tain, un peu plus bas, recevait des voyageurs qui s'arrêtaient volontiers pour se reposer et se nourrir après leur longue marche. Ils se rendaient à cet ermitage après quelques heures d'ascension pour prier ou faire un vœu. L'ermitage de Saint Christophe les accueillait cordialement. Là-haut, il leur était offert du vin récolté sur les côteaux par les contemplatifs, un vin fin, splendide et réconfortant.

La réputation des vins de l'ermitage et celle des côteaux traversèrent la région et même le royaume. La commune de Tain planta les côteaux environnants et le vignoble pris, au cours des siècles, une extension dont la réussite alla grandissante grâce à la renommée de ses vins. A tel point que les vins de Tain- l'Hermitage se vendaient plus chers que les Bordeaux, pendant une longue période. Les côteaux ne possèdent pas tous la même origine géologique. L'une est granitique (les Bessards) et donne des vins forts, charnus, aromatiques, tanniques, riches en matière et longs à se faire. L'autre, plutôt d'origine siliceuse avec des agrégats calcaires, offre des vins plus souples, bien qu'ayant une charpente robuste, généreuse, et une structure d'une grande finesse. Ils se font plus rapidement.

Les vins rouges de l'Hermitage sont puissants, équilibrés, à belle structure tannique avec une acidité convenable, ce qui leur permet de mûrir plusieurs années (de 5 à 10 ans) avant d'extérioriser leur vraie personnalité. Les arômes de violette, d'épices, de fruits rouges, de cuir, de rôti annoncent un potentiel de richesses pour des grands plaisirs à venir. Ces vins proviennent du cépage Syrah, à laquelle on adjoint parfois un peu de Marsanne et de Roussanne (maximum 12%).

L’HERMITAGE BLANC, RARE ET SENSUEL

Les vins blancs de l'Hermitage sont tout aussi étonnants, sinon plus, car ce sont des vins rares. Ils sont issus de Marsanne en grande majorité, et de Roussanne. Ces cépages sont complantés sur les lieux-dits les Rocouls et les Murets, terroirs aux sols formés surtout de lœss et de cailloutis. Le vin blanc de l'Hermitage est un vin assez gras, donc souple et rond, élégant, avec une base assez nerveuse, vive, dans une structure délicate, d'une finesse remarquée. Ses arômes retiennent l'attention par leur originalité. Ils chatouillent le nez par un fondant de fleurs blanches et jaunes, de miel fin, de thym, d'acacia… d'écorces d'orange, d'aubépine, d'amande, verte au début puis légèrement amère, de grillé… tout cela dans des nuances fondues. Ces vins blancs peuvent se servir jeunes mais ils gagnent en délicatesse, en fondu et en personnalité, à s'épanouir en mûrissant au fond de votre cave plusieurs mois, voire quelques années.

Nous ne saurions connaître meilleur bonheur. Un rouge et un blanc de l'Hermitage ! Ce nom évoque le mystère des civilisations du vin auxquelles les moines ont apporté leur part de progrès vinicole et sans qui le vin, aujourd'hui, ne serait pas ce qu'il est. L’Hermitage ne peut être dissocié de la « noble » chevalerie du Moyen-Age, noblesse inséparable de ce vin qui mérite les éloges qu'on lui octroie.

Quand arrive l'époque du gibier, on rêve. Un lièvre à la royale vient à l'esprit pour honorer l'Hermitage rouge. Lièvre rôti, puis cuit à nouveau à petit feu dans un bouillon de pot-au-feu, accompagné du foie gras qui le farcit… arrosé d'un Hermitage rouge au millésime approprié, 1976 par exemple. Nuances et tonalités de grillé, de confiture de fruits rouges mûrs, de tannins impressionnants de souplesse, s'accordent, s'individualisent pour mieux se découvrir au coin de papilles gourmandes et flirter ensemble d'une même passion.

Le blanc de l'Hermitage, je l'associe d'office avec un brochet à la gourmande. Cette recette met en scène pâte d'anchois, échalotes, vin blanc, câpres, œufs, persil, madère… tout pour s’harmoniser, au final, avec l’Hermitage blanc. Et c'est un vrai festin du goût.      

LE GIGONDAS DES PRINCES D’ORANGE

Descendons encore vers le sud. Le Vaucluse nous accueille. Surplombé par les Dentelles de Montmirail, magnifiques quenottes de roches calcaires, les vals et côteaux de Gigondas, le village qui en 1972 a donné son nom à l'appellation, se prélasse au soleil.

Sur ce terroir composé d'alluvions anciennes, de cailloux roulés, de calcaire et de molasses sableuses, s'étirent des vignes dans tous les sens cardinaux. Ici, du même coup nous changeons de cépages. Le Grenache, le Picpoul, la Cournoise, le Mourvèdre, la Syrah, le Cinsault, la Clairette, le Bourboulenc et un peu de Carignan (son importance en superficie diminue de plus en plus) entrent dans cet encépagement commun à la grande partie des Côtes-du-Rhône méridionales.

Les vins de Gigondas sont des vins de garde. Ils aiment mûrir et vieillir tranquillement au fond de caves silencieuses et fraîches, dans la pénombre. Vins puissants, généreux, charpentés et bien équilibrés, ils sont marqués par un bouquet très spécifique, avec une démultiplication aromatique faite à la fois de finesse et de puissance.

Arômes de fruits rouges confits, chauds, souvent de la mûre et de la fraise, des senteurs d'épices, de fruits à noyau aussi (abricot, pêche, cerise noire…) et de réglisse. On découvrira dans cette matière pourpre, quelques années plus tard, d'autres bouquets : le cuir, la violette, et des notes animales se substituant aux notes fruitées, venaison, fourrure, rôti, viscères chaudes… et même des traces de cacao.

Ces arômes prennent le temps d'arriver. Ce qui permet d'affirmer qu'un Gigondas de 5 à 10 ans nous offrira son meilleur potentiel qualitatif et sa personnalité vraie, mais qu'avant, à 2-4 ans, il possède déjà une typicité relative, très agréable.

Avec le Gigondas, s'impose un savant lapin de Garenne aux gousses d’ail. Ce gibier chemisé de lard et d'ail (non épluché, c'est important) ne tarde pas, au contact de ce vin bourgeois et viril à la fois, à se marier à lui amoureusement, par arômes interposés. Vous pouvez apprécier, aussi, le Gigondas (et c’est sublime) avec un chevreuil au chocolat nappé d'une sauce poivrade.

CHATEAUNEUF-DU-PAPE, VIN DE MESSE DU VATICAN

On ne peut séparer l'appellation Châteauneuf-du-Pape du baron Leroy, premier vigneron de Châteauneuf, ancien président de l'INAO, de l'OIV… l'homme qui a voulu l'Appellation et l'a portée au plus haut niveau de réputation. Relevons, parmi ses écrits, cette belle évocation qui aurait pu garnir le frontispice de ce monument appelé « Châteauneuf-du-Pape » : « Ici, Messieurs, génuflexion s'il vous plaît, comme il sied devant le Pontife des Côtes-du-Rhône ! Rutilant dans sa pourpre cardinalesque, chaud de tout le soleil provençal, embaumé des arômes de ses garrigues, tout vibrant du chant des cigales, il termine en feu d'artifice les grandes appellations des collines rhodaniennes ». Le baron Leroy fut un grand homme, le grand homme des appellations.                                           

La ville de Châteauneuf-du-Pape et son vin sont chargés d'histoire. D'une grande et belle histoire. Le vin est sanctifié par l’amour d'une lignée de Papes, bons vivants, mais néanmoins sérieux dans leur mission pontificale. Les Papes d'Avignon venaient remplir leurs tonneaux régulièrement à Châteauneuf et, même, aimaient venir se reposer dans la résidence que fit construire Jean XXII en 1316.                     
Châteauneuf-du-Pape étend son beau vignoble sur des sols secondaires (crétacé) et tertiaires (oligocène). La grande majorité du cru est formée de terrain alluvial constitué en surface d'un cailloutis d'épandage à très gros éléments de quartzite et matrice argileuse rouge, charriés furieusement par le Rhône au cours du quaternaire ancien. Ces galets arrondis et lisses tapissent le terroir de Châteauneuf et lui apportent des privilèges fort connus, physiques essentiellement, qui aident à la maturité des raisins. La nuit, ces galets blancs restituent aux grappes la chaleur emmagasinée dans la journée.

Comme dans l'appellation de l'Hermitage, ici à Châteauneuf, les vins rouges représentent la quasi-totalité de la production. Les vins blancs alimentent toujours les discussions parce qu'ils sont rares.

Les Châteauneuf-du-Pape ont une robe grenat frangée de violet dans leur jeunesse et deviennent d'un rubis profond dans leur maturité. Puissants, généreux, corsés, étoffés, charnus, bien charpentés, ils déploient fièrement une architecture majestueuse. Un bouquet complexe, formé d'arômes multiples, très odorants, exprimant le cassis, la mûre, la prune, la garrigue, le thym, le laurier… et des épices comme la vanille, mais aussi le café grillé chaud, le cuir neuf, la cannelle, pour se métamorphoser en vieillissant en odeurs plus animales, torréfiées et viscérales.

Les Châteauneuf-du-Pape blancs, rares bien entendu, se parent d'une robe jaune pâle brillante, plus ou moins nuancée de vert. Ils exhalent des parfums de fleurs blanches et jaunes (aubépine, lis, genêt, narcisse, jonquille…) avec des notes fruitées (abricot, pêche), d'épices, de cire d'abeille et parfois de senteurs boisées.

Les vins de Châteauneuf se marient avec une cuisine robuste traditionnelle, mais supportent aussi la cuisine moderne lorsqu'elle respecte les vraies flaveurs de la nature. Notamment les chairs des viandes rouges, les chairs de poissons (pour les blancs) accompagnées de divers arômes régionaux qui embaument la Provence.

La personnalité de ces vins pontificaux ne doit pas succomber devant les aromates traditionnels qui existaient ici avant la vigne, l'ail, le basilic, le poivre, les échalotes… A contrario, ces vins doivent escorter aromates et sauces et non les supplanter ou les dominer.

Un plat truffé ne fait pas peur à ce Seigneur des Côtes-du-Rhône, ni un lièvre servi avec sauce vigneronne ou poivrade, ni le civet de sanglier mijoté plusieurs heures, quand ce n'est pas un ou deux jours au coin d'un feu de bois.

Une anguille rôtie avec sa persillade, une alose rhodanienne ou une truite saumonée au beurre d'anchois, se plairont avec un blanc de Châteauneuf-du-Pape. Chacun de ces vins majestueux sublime dans sa propre typicité ces mets faits de gibier à poils ou à plumes, ces poissons de rivière, pour nous offrir d'immenses joies gastronomiques.